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mouvement des femmes Iraniennes

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Monday, January 24, 2011

Féminisme face aux intégrismes et au pouvoirs politico-religieux

Féminisme face aux intégrismes et au pouvoirs politico-religieux

Fondée par la C.L.E.F. (Coordination française pur le Lobby Européen des Femmes) en 1993, la Commission de lutte contre les extrémismes religieux a commencé par préparer un atelier pour la Conférence de Pékin en 1995. Après avoir demandé la participation de toutes les associations de la C.L.E.F. et reçu des réponses, nous avons commencé ce travail.
Notre atelier a Pékin a eu plus de 60 participants, surtout des femmes mais aussi des hommes. Ce fut très réussi car très interactif. Entre autres intervenantes, Jamileh Nedai, une des fondatrices de la Commission, y a dressé une liste analytique de la jurisprudence iranienne concernant les femmes. À Pékin, nous avons aussi organisé une réunion d’information le 12 septembre, puis une conférence de presse le 14 à laquelle sont venus, entre autres journalistes, ceux du Chicago Tribune, de l’AFP à Hong Kong, d’un journal catholique francophone et de la presse espagnole.
De retour à Paris, nous avons voulu nous pencher sur les manuels scolaires d’écoles religieuses privées. En fait nous n’avons pas trouvé d’enseignement sexiste dans les quelques écoles catholiques et juives dont nous avons pu avoir les manuels. Les manuels des écoles musulmanes étaient en arabe et nous n’avons donc pas pu les examiner. Nous avons été obligées d’abandonner cette piste.
Ensuite nous avons entrepris une étude des textes fondateurs des religions représentées au sein de la Commission (Bouddhisme, Catholicisme, Islam, Judaïsme, Protestantisme) pour y étudier les inégalités imposées aux femmes dans les domaines de la prière, du mariage, du divorce, de l’adultère. Des différences ont été évidentes, pas toujours celles auxquelles nous pouvions nous attendre d’ailleurs. Mais malgré quelques bonnes surprises, il nous est apparu clairement que l’unique garantie pour les femmes était bien une société réglée par la laïcité, les mettant à l’abri dans les domaines de l’éducation, de la vie civile (mariage, divorce, garde d’enfants, etc.), de la vie professionnelle et de la vie sexuelle.
Comme base de construction et de sauvegarde d’une société laïque et égalitaire pour tous, l’éducation était clairement le fondement principal. Nous avons donc organisé un Colloque à l’UNESCO les 23 et 24 mars 1999 sur le thème : « Education : Religions, Intégrismes ». La soirée d’ouverture réunissait des conférenciers issus du Catholicisme, de l’Islam, du Judaïsme, du Protestantisme ainsi que du Ministère de l’Education Nationale et d’organisations féministes, dont Wassyla Tamzali, alors Directrice du Programme de l’UNESCO pour la promotion du statut des femmes de la Méditerranée. Cette soirée a accueilli plus de 200 personnes dont plusieurs journalistes. Les participants venaient de beaucoup de pays autour de la Méditerranée et de quelques autres pays européens. Le lendemain, nous y avons animé une Journée séminaire d’une trentaine de personnes d’une dizaine de pays, presque toutes des enseignantes, éducatrices, personnes de l’Education Nationale et quelques représentantes d’associations de femmes.
Les conclusions ont été diffusées dans tous les pays représentés, au niveau des ministères concernés, d’associations féministes, d’institutions religieuses. Par la suite nous avons organisé d’autres soirées-débats avec, toujours, la rédaction d’un fascicule résumant notre travail préparatoire pour le sujet.
De 2000 à 2006, nous avons représenté la C.L.E.F. à l’ONU et y avons présenté chaque année des déclarations verbales et écrites, à la fois à la Commission du Statut des Femmes à New York et à la Commission (devenue Conseil en 2005) des Droits Humains à Genève, toujours sur le thème des extrémismes religieux par rapport aux droits des femmes.
Nous avons fait du lobbying auprès de représentants de l’ONU comme Mary Robinson, Haute Commissaire des Droits Humains, Abdelfattah Amor, Rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse, auprès de Ministres français de l’Education Nationale et des Droits des Femmes, auprès de membres de leurs cabinets, et auprès de délégués gouvernementaux de divers pays à l’ONU.
Au nom de la C.L.E.F., nous avons été auditionnées par les deux commissions Stasi (la laïcité et les discriminations).
Pour Pékin + 5, à Genève, nous avons organisé et animé un atelier sur les méfaits des extrémismes religieux pour les femmes.
Pour Pékin + 10, nous avons animé le groupe de travail à Genève sur Femmes et fondamentalismes et, avec des femmes de pays très divers, avons élaboré une déclaration consensuelle et 4 recommandations à l’intention des Etats. Le mot « laïcité » n’a posé aucun problème. Nos recommandations :
« Les gouvernements doivent assurer que les lois sur les droits civiques sont mises en œuvre et appliquées.
Le principe de la laïcité doit être respecté par chaque État dans toutes ses politiques. Les gouvernements doivent refuser toute intervention des fondamentalistes dans l’éducation. La laïcité respecte de façon égale la non croyance et les croyances.
Nous rejetons l’utilisation de traditions et d’ethnicité pour empêcher les femmes de jouir de tous leurs droits reproductifs et sexuels.
Nous rejetons l’augmentation de dépenses militaires au nom de la sécurité au détriment de programmes, essentiels pour les femmes, pour la santé, l’éducation et le social. »

Il est notoire qu’en mars 2003, la Commission du Statut des Femmes de l’ONU à New York a suspendu sa séance sur les violences faites aux femmes, en rejetant un paragraphe relatif au recours à la coutume, tradition ou religion pour justifier des violences. Ce paragraphe est pourtant inclus dans la Plateforme d’Action de Pékin de 1995, Article 124, et ces prétextes légitiment effectivement toutes sortes de violences à l’encontre des femmes, en particulier, les mariages forcés et/ou précoces, l’enfermement, les crimes dits « d’honneur », les mutilations génitales féminines, les lapidations, et j’en passe. Des Etats catholiques, musulmans, protestants ont préféré abandonner les femmes aux violences plutôt que d’admettre que les religions ou les coutumes servaient de justification. Ce fut un lamentable recul par rapport à la Plateforme d’Action.
Toujours à l’ONU, toujours en mars 2003 mais à Genève, le rapporteur Spécial de l'ONU sur le racisme, Doudou Diène, dans son rapport présenté à la 4ème session de la CDH sous la cote A/HRC/4/19 a affirmé qu’il était raciste d'interdire la Burka. Des associations importantes belges ont déclaré au même moment qu'une interdiction devait être « proportionnée »., « Il ne faut pas interdire ce qui est marginal, comme par exemple "la lapidation" ont-elles dit*. Commentaire de Malka Marcovich : 
 « En suivant cette logique, nous aurions dû attendre un nombre important d'incestes, de viols, de meurtres pour que ces crimes soient interdits ».
Nous avons condamné la politique d’immigration en France, responsable d’abus en permettant l’application des codes de la famille ou statuts personnels de pays
* Le MRAX et le Centre pour l’égalité des chances.
d’origine à des femmes immigrées (Algérie, Maroc, Turquie) à la demande du conjoint seul. Ces codes placent la femme en minorité juridique et autorisent la polygamie et la répudiation.
La polygamie est tolérée de fait, car les pères touchent les allocations familiales pour les enfants nés d’unions non reconnues avec des femmes maintenues en situation irrégulière. En cas de divorce, les femmes étrangères non régularisées par leur mari sont expulsables ; le mari seul garde le droit de séjour.
En fait, la France, comme d’autres démocraties dans le monde, ne soutient nullement ses propres lois et ses propres principes, pourtant élaborés au cours des générations pour réaliser une société plus égalitaire.
La France abandonne en particulier la laïcité qui fait désormais l’objet d’un véritable bras de fer dans lequel les femmes ont énormément à perdre. Elle constitue l’un des piliers pour l’égalité réelle entre les individus des deux sexes ; elle est la reconnaissance de l’Autre ; elle est le bien de tous. La laïcité signifie le respect de toute croyance ou non croyance.

Pour nous il n’y a pas de laïcité « ouverte », « positive », ou « tolérante ». C’est une valeur universelle : elle ne « tolère » pas les différences ; elle les reconnaît et les valorise. Nous y sommes profondément attachées ; nous devons la défendre. Il y va de notre liberté.

La conférence de l’Initiative Féministe Européenne du 31 mai au 1° juin 2008 à Rome, groupant des femmes de 20 pays d’Europe et du Moyen Orient, a exprimé avec éclat le refus d’enfermer les femmes sous leurs voiles ou derrière les murs de leurs maisons, le refus de pourchasser et de criminaliser celles qui ne demandent que la libre disposition de leur propre corps, le refus qu’au nom du « respect de la diversité culturelle », soit portée la moindre atteinte à leurs droits fondamentaux.

Nous mesurons bien le recul déjà fortement entamé et promu par des gens de gauche comme de droite. La mixité, dans nos écoles, piscines, hôpitaux et autres lieux publics, n’est déjà plus garantie. Des filles sont parfois manipulées, parfois à juste titre effrayées, car menacées de violences, et ces menaces ne sont pas vaines. Sont affectées beaucoup de disciplines scolaires, la vie sociale entre élèves, des contacts et sorties mixtes, des examens ou thèses jugés par des professeures femmes, et bien d’autres.
À la C.L.E.F. des femmes d’origine maghrébine et iranienne nous ont fait part de leur découragement et de leurs craintes que le statut d’égalité, la liberté, ces droits pour lesquels beaucoup d’entre elles, ou leurs mères, étaient venues en France, ne soient remis en cause. Beaucoup d'adolescentes témoignent porter le voile comme seul moyen d'échapper au harcèlement des garçons dans les cités. Et nous savons qu’à l’étranger, des dizaines de milliers de femmes ont été assassinées ou mutilées pour leur refus courageux de ces vêtements.
Celles qui acceptent de se voiler apprennent trop souvent que cette soumission entraîne d’autres encore, et elles deviennent en fait les victimes d’un véritable Apartheid de sexe. Celles qui refusent de se voiler sont traitées de putains et sont victimes de violences, de viols, d’assassinats (auxquels n’échappent pas non plus les « voilées »). Celles d’autres religions craignent une contagion et la perte des droits durement acquis par de longues années de lutte.
Faut-il attendre l’augmentation des violences physiques pour décider qu’il y a injustice ou oppression ?
La neutralité laïque est aussi préventive. Elle peut empêcher des conflits entre différentes religions ou positions politiques, entre croyants et athées. C’est l’ouverture et l’espace neutre de dialogue que nous devons rechercher et non l’affichage des différences qui enferment. Pour citer Henri Pena-Ruiz « La laïcité n'est pas la destruction des croyances, mais la distinction entre ce qui relève de la croyance et ce qui est du domaine de la connaissance ».
Ni le monde politique ni le monde religieux ne veut réellement les droits égaux des femmes. Dans des démocraties, nous réussissons parfois au prix d’une énergie et d’une persévérance démesurées (et pourtant sans recourir aux violences et aux destructions gratuites que nous voyons si souvent dans d’autres manifestations en France). Mais nos progrès ne sont jamais des « acquis », ce mot que des éléments mâles de notre société ont toujours à la bouche. Nous savons pertinemment que nos victoires ne seront pas définitives, car nous vivons dans un monde où trop de mâles n’abandonnent pas, ne serait-ce qu’une parcelle de leur pouvoir.

Cela dit, je dois préciser que dans la deuxième moitié des années 1990, nous étions non seulement très écoutées en tant que féministes, mais aussi suivies de manière efficace par deux représentantes de la France à l’ONU à New York. D’abord Hélène Gisserot, puis Claire Aubin (qu’elle avait formée) étaient exceptionnellement attentives à nos préoccupations et en tenaient réellement compte. Cela n’a jamais été pareil depuis et il n’est que justice de rendre ce tout petit hommage aux deux.

Pour le monde des médias, nous sommes toujours aussi invisibles ; ils préfèrent les femmes soumises, parfois quelques victimes médiatisées, à plaindre passagèrement, soit encore des femmes qui adoptent les positions des hommes. (M. Aubry) Nous avons connaissance de bon nombre d’articles, de lettres, envoyés par des femmes reconnues comme expertes nationales ou internationales, et qui restent sans même un accusé de réception par la presse, certaines expertes refusées pour des débats à la télévision, tant de femmes journalistes professionnelles jamais promues à des postes décisionnels dans leur métier, (et l’on s’étonne que les femmes lisent beaucoup moins la presse que les hommes, mais beaucoup plus de livres).

Nous pensons néanmoins être mieux écoutées qu’autrefois par nombre d’élus et par des pouvoirs publics, mais sans que cela soit suivi d’une mise en œuvre de nos desiderata.

Pour les femmes qui veulent agir pour une égalité effective et réelle, il y a plusieurs chemins, tous ardus. On peut se lancer dans la lutte sauvage à l’intérieur des divers partis politiques. On peut aussi se lancer dans la lutte tout aussi sauvage à l’intérieur des diverses religions pour arracher un statut d’égalité. On peut encore combattre dans des associations féministes, diffuser les informations, organiser des formations et faire du lobbying auprès des élus français et européens comme auprès des représentants de nos pays dans les instances de l’ONU. Toutefois moins nous aurons d’illusions sur ce que ces divers « pouvoirs » seront prêts à faire pour nous, mieux nous pourrons réussir, car il ne s’agit surtout pas de croire aux bonnes paroles que certains proféreront, ni de relâcher jamais nos pressions.
Bon courage à toutes.

Bernice Dubois
le 18 novembre 2010 (Ruptures)

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