Fondée
par la C.L.E.F. (Coordination française pur le Lobby Européen des Femmes) en
1993, la Commission de lutte contre les extrémismes religieux a commencé par
préparer un atelier pour la Conférence
de Pékin en 1995. Après avoir demandé la participation de toutes les
associations de la C.L.E.F. et reçu des réponses, nous avons commencé ce
travail.
Notre
atelier a Pékin a eu plus de 60 participants, surtout des femmes mais aussi des
hommes. Ce fut très réussi car très interactif. Entre autres intervenantes,
Jamileh Nedai, une des fondatrices de la Commission, y a dressé une liste
analytique de la jurisprudence iranienne concernant les femmes. À Pékin, nous
avons aussi organisé une réunion d’information
le 12 septembre, puis une
conférence de presse le 14 à laquelle sont venus, entre autres
journalistes, ceux du Chicago Tribune, de l’AFP à Hong Kong, d’un journal
catholique francophone et de la presse espagnole.
De
retour à Paris, nous avons voulu nous pencher sur les manuels scolaires
d’écoles religieuses privées. En fait nous n’avons pas trouvé d’enseignement
sexiste dans les quelques écoles catholiques et juives dont nous avons pu avoir
les manuels. Les manuels des écoles musulmanes étaient en arabe et nous n’avons
donc pas pu les examiner. Nous avons été obligées d’abandonner cette piste.
Ensuite
nous avons entrepris une étude des
textes fondateurs des religions représentées au sein de la Commission
(Bouddhisme, Catholicisme, Islam, Judaïsme, Protestantisme) pour y
étudier les inégalités imposées aux femmes dans les domaines de la prière, du
mariage, du divorce, de l’adultère. Des différences ont été évidentes, pas
toujours celles auxquelles nous pouvions nous attendre d’ailleurs. Mais malgré
quelques bonnes surprises, il nous est apparu clairement que l’unique garantie
pour les femmes était bien une société réglée par la laïcité, les mettant à
l’abri dans les domaines de l’éducation, de la vie civile (mariage, divorce,
garde d’enfants, etc.), de la vie
professionnelle et de la vie sexuelle.
Comme
base de construction et de sauvegarde d’une société laïque et égalitaire pour
tous, l’éducation était clairement le fondement principal. Nous avons donc
organisé un Colloque à l’UNESCO les 23
et 24 mars 1999 sur le thème : « Education : Religions,
Intégrismes ». La soirée
d’ouverture réunissait des conférenciers issus du Catholicisme, de l’Islam, du
Judaïsme, du Protestantisme ainsi que du Ministère de l’Education Nationale et
d’organisations féministes, dont Wassyla Tamzali, alors Directrice du Programme
de l’UNESCO pour la promotion du statut des femmes de la Méditerranée. Cette
soirée a accueilli plus de 200 personnes dont plusieurs journalistes. Les
participants venaient de beaucoup de pays autour de la Méditerranée et de
quelques autres pays européens. Le lendemain, nous y avons animé une Journée séminaire d’une trentaine de
personnes d’une dizaine de pays, presque toutes des enseignantes, éducatrices,
personnes de l’Education Nationale et quelques représentantes d’associations de
femmes.
Les
conclusions ont été diffusées dans tous les pays représentés, au niveau des
ministères concernés, d’associations féministes, d’institutions religieuses.
Par la suite nous avons organisé d’autres soirées-débats avec, toujours, la
rédaction d’un fascicule résumant notre travail préparatoire pour le sujet.
De 2000 à 2006, nous avons représenté
la C.L.E.F. à l’ONU et y avons présenté chaque année des déclarations verbales
et écrites, à la fois à la Commission du Statut des Femmes à New York et à la
Commission (devenue Conseil
en 2005) des Droits Humains à Genève, toujours sur le thème des extrémismes
religieux par rapport aux droits des femmes.
Nous
avons fait du lobbying auprès de
représentants de l’ONU comme Mary Robinson, Haute Commissaire des Droits
Humains, Abdelfattah Amor, Rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse,
auprès de Ministres français de l’Education Nationale et des Droits des Femmes,
auprès de membres de leurs cabinets, et auprès de délégués gouvernementaux de
divers pays à l’ONU.
Au
nom de la C.L.E.F., nous avons été auditionnées
par les deux commissions Stasi (la laïcité et les discriminations).
Pour Pékin + 5, à Genève, nous avons
organisé et animé un
atelier sur les méfaits des extrémismes religieux pour les femmes.
Pour Pékin + 10, nous avons animé le
groupe de travail à Genève sur Femmes et fondamentalismes et, avec des femmes
de pays très divers, avons élaboré une déclaration consensuelle et 4
recommandations à l’intention des Etats. Le mot « laïcité » n’a posé
aucun problème. Nos recommandations :
« Les gouvernements
doivent assurer que les lois sur les droits civiques sont mises en œuvre et
appliquées.
Le principe de la laïcité
doit être respecté par chaque État dans toutes ses politiques. Les
gouvernements doivent refuser toute intervention des fondamentalistes dans
l’éducation. La laïcité respecte de façon égale la non croyance et les
croyances.
Nous rejetons l’utilisation
de traditions et d’ethnicité pour empêcher les femmes de jouir de tous leurs
droits reproductifs et sexuels.
Nous rejetons
l’augmentation de dépenses militaires au nom de la sécurité au détriment de
programmes, essentiels pour les femmes, pour la santé, l’éducation et le
social. »
Il est notoire qu’en
mars 2003, la Commission du Statut des Femmes de l’ONU à New York a suspendu sa
séance sur les violences faites aux
femmes, en rejetant un paragraphe relatif au recours à la coutume, tradition ou religion pour justifier des
violences. Ce paragraphe est pourtant inclus dans la Plateforme d’Action
de Pékin de 1995, Article 124, et ces prétextes légitiment effectivement toutes sortes de
violences à l’encontre des femmes, en particulier, les mariages forcés et/ou
précoces, l’enfermement, les crimes dits « d’honneur », les mutilations
génitales féminines, les lapidations, et j’en passe. Des Etats
catholiques, musulmans, protestants ont préféré abandonner les femmes aux
violences plutôt que d’admettre que les religions ou les coutumes servaient de
justification. Ce fut un lamentable recul par rapport à la Plateforme
d’Action.
Toujours à l’ONU, toujours en mars 2003 mais à Genève, le rapporteur Spécial de l'ONU sur le racisme, Doudou Diène,
dans son rapport présenté à la 4ème session de la CDH sous la cote A/HRC/4/19 a affirmé qu’il
était raciste d'interdire la Burka.
Des associations importantes belges ont déclaré au même moment qu'une
interdiction devait être « proportionnée ».,
« Il ne faut pas interdire ce qui est marginal, comme par exemple "la
lapidation" ont-elles dit*. Commentaire de Malka Marcovich :
« En suivant cette logique,
nous aurions dû attendre un nombre important d'incestes, de viols, de meurtres
pour que ces crimes soient interdits ».
Nous avons condamné la
politique d’immigration en France, responsable d’abus en permettant
l’application des codes de la famille ou statuts personnels de pays
* Le MRAX et le Centre pour l’égalité des chances.
d’origine à des femmes immigrées
(Algérie, Maroc, Turquie) à la demande du conjoint seul. Ces codes
placent la femme en minorité juridique et autorisent la polygamie et la
répudiation.
La polygamie est tolérée de fait, car
les pères touchent les allocations familiales pour les enfants nés d’unions non
reconnues avec des femmes maintenues en situation irrégulière. En cas de divorce,
les femmes étrangères non régularisées par leur mari sont expulsables ; le
mari seul garde le droit de séjour.
En
fait, la France, comme d’autres démocraties dans le monde, ne soutient
nullement ses propres lois et ses propres principes, pourtant élaborés au cours
des générations pour réaliser une société plus égalitaire.
La France
abandonne en particulier la laïcité qui fait désormais l’objet d’un véritable
bras de fer dans lequel les femmes ont énormément à perdre.
Elle
constitue
l’un des piliers pour l’égalité réelle entre les individus des deux
sexes ; elle est la reconnaissance de l’Autre ; elle est
le bien de tous. La laïcité
signifie le respect de toute
croyance ou non croyance.
Pour
nous il n’y a pas de laïcité
« ouverte », « positive », ou
« tolérante ». C’est une valeur universelle : elle ne
« tolère » pas les différences ; elle les reconnaît et les
valorise. Nous y sommes profondément
attachées ; nous devons la
défendre. Il y va de notre liberté.
La conférence de l’Initiative Féministe Européenne du
31 mai au 1° juin 2008 à Rome, groupant des femmes de 20 pays d’Europe et du
Moyen Orient, a exprimé avec éclat le refus
d’enfermer les femmes sous leurs voiles ou derrière les murs de leurs
maisons, le refus de pourchasser et de criminaliser celles qui ne demandent que
la libre disposition de leur propre
corps, le refus qu’au nom du « respect de la diversité
culturelle », soit portée la moindre atteinte à leurs droits
fondamentaux.
Nous mesurons bien le recul déjà fortement entamé et
promu par des gens de gauche comme de droite. La mixité, dans nos écoles, piscines, hôpitaux
et autres lieux publics, n’est déjà plus garantie. Des filles sont parfois
manipulées, parfois à juste titre effrayées, car menacées de violences, et ces
menaces ne sont pas vaines. Sont affectées beaucoup de disciplines scolaires,
la vie sociale entre élèves, des contacts et sorties mixtes, des examens ou
thèses jugés par des professeures femmes, et bien d’autres.
À la C.L.E.F. des femmes d’origine
maghrébine et iranienne nous ont fait part de leur découragement et de leurs
craintes que le statut d’égalité, la liberté, ces droits pour lesquels beaucoup
d’entre elles, ou leurs mères, étaient venues en France, ne soient remis en
cause. Beaucoup d'adolescentes témoignent porter le voile comme seul moyen
d'échapper au harcèlement des garçons dans les cités. Et nous savons qu’à
l’étranger, des dizaines de milliers de femmes ont été assassinées ou mutilées pour
leur refus courageux de ces vêtements.
Celles
qui acceptent de se voiler apprennent trop souvent que cette soumission
entraîne d’autres encore, et elles deviennent en fait les victimes d’un
véritable Apartheid de sexe. Celles
qui refusent de se voiler sont traitées de putains et sont victimes de
violences, de viols, d’assassinats (auxquels n’échappent pas non plus les
« voilées »). Celles d’autres religions craignent une contagion
et la perte des droits durement acquis par de longues années de lutte.
Faut-il attendre l’augmentation des
violences physiques pour décider qu’il y a injustice ou oppression ?
La
neutralité laïque est aussi préventive.
Elle peut empêcher des conflits entre différentes religions ou positions
politiques, entre croyants et athées. C’est
l’ouverture et l’espace neutre de dialogue que nous devons rechercher et non
l’affichage des différences qui enferment. Pour citer Henri Pena-Ruiz « La laïcité n'est pas la destruction des
croyances, mais la distinction entre ce qui relève de la croyance et ce qui est
du domaine de la connaissance ».
Ni le monde politique ni le
monde religieux ne veut réellement les
droits égaux des femmes. Dans des démocraties, nous réussissons parfois au prix
d’une énergie et d’une persévérance démesurées (et pourtant sans recourir aux
violences et aux destructions gratuites que nous voyons si souvent dans
d’autres manifestations en France). Mais nos progrès ne sont jamais des
« acquis », ce mot que des
éléments mâles de notre société ont toujours à la bouche. Nous savons pertinemment
que nos victoires ne seront pas définitives, car nous vivons dans un monde où
trop de mâles n’abandonnent pas, ne serait-ce qu’une parcelle de leur pouvoir.
Cela dit, je dois préciser que dans la deuxième moitié des années
1990, nous étions non seulement très écoutées en tant que féministes, mais
aussi suivies de manière efficace par deux représentantes de la France à
l’ONU à New York. D’abord Hélène Gisserot, puis Claire Aubin (qu’elle avait
formée) étaient exceptionnellement attentives à nos préoccupations et en
tenaient réellement compte. Cela n’a jamais été pareil depuis et il n’est que
justice de rendre ce tout petit hommage aux deux.
Pour
le monde des médias, nous sommes toujours aussi invisibles ; ils préfèrent les femmes
soumises, parfois quelques victimes médiatisées, à plaindre passagèrement, soit
encore des femmes qui adoptent les positions des hommes. (M. Aubry) Nous avons
connaissance de bon nombre d’articles, de lettres, envoyés par des femmes
reconnues comme expertes nationales ou internationales, et qui restent sans
même un accusé de réception par la presse, certaines expertes refusées pour des
débats à la télévision, tant de femmes journalistes professionnelles jamais
promues à des postes décisionnels dans leur métier, (et l’on s’étonne que les
femmes lisent beaucoup moins la presse que les hommes, mais beaucoup plus de
livres).
Nous pensons néanmoins être mieux écoutées qu’autrefois par nombre
d’élus et par des pouvoirs publics,
mais sans que cela soit suivi d’une mise en œuvre de nos desiderata.
Pour les femmes qui veulent agir pour une égalité effective et
réelle, il y a plusieurs chemins, tous ardus. On peut se lancer dans la lutte
sauvage à l’intérieur des divers partis politiques. On peut aussi se lancer
dans la lutte tout aussi sauvage à l’intérieur des diverses religions pour
arracher un statut d’égalité. On peut encore combattre dans des associations
féministes, diffuser les informations, organiser des formations et faire du
lobbying auprès des élus français et européens comme auprès des représentants
de nos pays dans les instances de l’ONU. Toutefois moins nous aurons
d’illusions sur ce que ces divers « pouvoirs » seront prêts à faire
pour nous, mieux nous pourrons réussir, car il ne s’agit surtout pas de croire
aux bonnes paroles que certains proféreront, ni de relâcher jamais nos
pressions.
Bon courage à toutes.
Bernice Dubois
le 18 novembre 2010
(Ruptures)