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mouvement des femmes Iraniennes

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Sunday, December 18, 2011


21 Mai 2011 Par Eric Fassin
Troisième volet sur l’affaire DSK. Si l’accusé est bien sûr présumé innocent, la plaignante n’est pas moins une victime présumée.  Aux États-Unis comme en France, la protestation monte contre le sexisme des premières réactions françaises, en particulier dans la classe politique. Mais le féminisme ne nous parle pas seulement de genre : il y a aussi la classe et la race d’une histoire postcoloniale.
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À l’heure d’écrire ces lignes, le 19 mai, Dominique Strauss-Kahn vient tout juste d’apprendre sa libération sous caution, mais aussi son inculpation par le grand jury.  Or le procès qui s’annonce ne s’arrêtera pas à l’établissement des faits ; ce sera aussi un récit. Quelle histoire, ou plutôt quelles histoires va-t-il raconter ? D’abord, bien entendu, une histoire sexuelle – mais en un double sens : il apparaît déjà qu’il y est question de genre, et pas seulement de sexualité.  « Il n’y a pas mort d’homme », a protesté Jack Lang sur France 2. Certes, le viol n’est qu’un viol, et non pas un meurtre ; mais ce qu’on entend aussi, dans la deuxième partie de l’expression, c’est que la victime n’est qu’une femme, et non un homme. Éloquente dans son inconscience, une telle réaction de solidarité sonne ainsi comme l’écho assourdi d’une domination de genre inscrite dans le viol.
Il s’agit aussi, dès à présent, d’une histoire de classe. Au début, en insistant sur les 3000 dollars que coûte la nuit dans cette suite d’hôtel, les médias ne se contentaient pas de rappeler le train de vie du présidentiable, en s’inscrivant dans le droit fil des révélations sur la Porsche ou le tailleur de luxe. Ils signifiaient aussi l’écart qui le sépare d’une jeune femme habitant le Bronx. Au fond, le « coup de tonnerre » du scandale, c’est l’envers grimaçant du souriant Coup de foudre à Manhattan. Dans cette comédie romantique de 2003, la portoricaine Jennifer Lopez est femme de chambre. Dans le grand hôtel où elle travaille, cette mère célibataire, qui vit aussi dans le Bronx, rencontre un riche héritier, destiné au Sénat. Leurs amours iront bien sûr jusqu’au mariage, nonobstant le fossé qui les sépare.
Toutefois, dans la réalité, les rapports de classe n’ont rien d’enchanté. Sur France-Culture, Jean-François Kahn n’a fait que dire, à son corps défendant, la vérité des choses. Sans doute veut-il, lui aussi, minimiser, voire nier la réalité, puisqu’il se dit « certain », ou « pratiquement », « qu’il n’y a pas eu une tentative violente de viol » ; mais pour mieux qualifier cette « imprudence », il parle d’un « troussage de domestique. » Il ne s’est rien passé, ou presque, puisque ce qui s’est passé est normal, ou presque. Si le propos a choqué, c’est qu’il trahissait une connivence de classe – au risque de légitimer, sinon un « droit de cuissage » moyenâgeux, du moins une prérogative bourgeoise digne du dix-neuvième siècle.
Cette dimension de classe est d’autant plus révélatrice qu’elle est l’image inversée de la sévérité croissante qui s’est développée en France comme ailleurs à l’encontre des violences envers les femmes, en particulier dans les années 2000. C’est qu’en réalité, il s’agissait surtout des « autres » : le scandale des « tournantes » renvoyait le viol aux « jeunes » des « quartiers ». C’est pour la même raison que beaucoup croyaient a priori à la culpabilité des violeurs dans les caves des cités et qu’aujourd’hui les mêmes redécouvrent la présomption d’innocence dans une suite de palace. La sociologie du viol, comme le montre une recherche du CESDIP présentée par Véronique Le Goaziou, est duelle : alors que les enquêtes de victimation permettent d’établir qu’il traverse les classes, ce sont massivement les milieux populaires qu’on retrouve devant les assises…
On aurait bien tort d’oublier que le viol est un crime à deux vitesses ; d’autant que cette logique est racialisée : l’histoire qui s’est déjà déployée dans sa dimension sexuelle, mais aussi de classe, ne devrait pas manquer de se décliner aussi en termes de races. La victime présumée est noire, et le présumé innocent est blanc. Le « troussage de domestique » participe d’une histoire raciale fondamentale aux États-Unis : le viol des femmes noires par les hommes blancs, protégés par cette « institution particulière » qu’était l’esclavage, est aujourd’hui encore gravé dans la mémoire collective. À l’inverse, il est particulièrement mal venu que des politiques français, de Jack Lang à Robert Badinter, pour défendre DSK, dénoncent un « lynchage médiatique ». Il faut en effet rappeler que ce sont les hommes noirs, accusés de viol à l’encontre de femmes blanches, qui en étaient victimes. Il est donc troublant de renverser ainsi la réalité de la domination raciale – comme d’autres parlaient naguère de « ratonnades anti-Blancs »…
Dira-t-on que cette racialisation est étrangère à la France , car propre aux États-Unis ? C’est plutôt qu’elle pourrait se décliner ici en des termes postcoloniaux. Après tout, cette femme, qui avait obtenu l’asile aux États-Unis, est guinéenne ; elle est musulmane (la rumeur la dit même voilée !). Elle partage avec Dominique Strauss-Kahn une langue, le français, qui est celle de la colonisation. Si les avocats de la défense devaient plaider le consentement, ils pourraient bien activer du même coup cette histoire (post)coloniale : la violence de la domination ne s’est-elle pas donnée, bien au-delà du registre sexuel, comme consentie ? Songeons aux accords bilatéraux que la France impose aujourd’hui à ses partenaires africains, en matière d’immigration, sous le nom orwéllien de développement solidaire. Que l’affaire concerne le patron du FMI, opposé à une immigrée, ne pourrait que renforcer cette autre lecture de l’histoire : on quitterait le registre du contraste culturel transatlantique pour celui de la domination mondialisée.
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