Je suis une laïque protestante. Je fais partie de l’Eglise
Réformée de France qui est membre de la Fédération Protestante de France, et je
suis également membre d’une ONG, le Mouvement Jeunes Femmes d’origine
protestante, mais qui s’est affirmé dans ses statuts féministe et laïque.
C’est à partir de cette double appartenance que je vais
tenter d’introduire le problématique des intégrismes religieux protestants.
1.
Dans le Protestantisme, on parle moins d’intégrisme que de
fondamentalismes au pluriel, car le Protestantisme est d’abord un fait pluriel.
Il y a des églises protestantes,
se référant à des traditions théologiques différentes, contrairement à l’Eglise
Catholique qui a une structure centralisée. Il h’y a pas de doctrine unique qui
s’impose à tous, même s’il y a des affirmations et des références communes, car
il n’y a pas de magistère qui imposent une norme de pensée ou de foi.
Les fondamentalismes représentent une
minorité dans le Protestantisme. Les grandes Eglises se caractérisent plutôt
par un esprit d’ouverture ; elles ont d’ailleurs été les premières à
accepter l’ordination des femmes, elles ont pris position en faveur de la
liberté de choix en matière d’avortement, elles ont participé à la laïcisation
de la société.
Pour comprendre l’origine et les
manifestations du fondamentalisme protestant, il faut aller chercher
Outre-Atlantique, aux U.S.A., où il est né au début du 20ème siècle.
Entre 1910 et 1915 parurent aux USA 12
petits traité intitulés : The
Fundamentals : A testimony to the Truth ». Leurs auteurs
affirmaient contre le libéralisme protestant un certain nombre de points de foi
qu’ils jugeaient non négociables. Le fondamentalisme a donc été au départ une
position théologique qui réaffirmait une fois très traditionnelle contre le
libéralisme ambiant et contre le Christianisme social, qui leur paraissaient
saper les fondements de la foi chrétienne.
Un texte paru dans The Presbyterian en 1920 nous fournit les clés de cette vision
fondamentaliste.
« Il faut se
souvenir que l’Amérique a été engendrée par des ancêtres moraux, qu’elle est
bâtie sur un fondement moral éternel… Ce fondement, c’est la Bible, la Parole
infaillible de Dieu…Mais un affaiblissement de cette norme morale s’est produit
dans la vie de l’Amérique qui est le fruit d’une période où a régné la luxure à
l’intérieur et la liberté due à l’absence de conflits avec l’extérieur. Il n’y
a qu’un remède : la nation doit retourner à son modèle initial de la
Parole de Dieu… La Bible et le Dieu de la Bible sont notre seul espoir.
L’Amérique est placée devant un choix. Elle doit remettre la Bible à la place
qu’elle avait historiquement dans la famille, à l’école, au collège et à
l’université, à l’Eglise comme à l’école du dimanche ».
Le
fondamentalisme a une triple visée ;
- théologique ;
croyance en la Parole Infaillible de Dieu et donc attachement à la littéralité
de l’Ecriture`
- politique ;
protestation contre la modernité culturelle, refus de la théorie de
l’évolution, et retour à l’ordre ancien, à la Genèse comme création divine
- morale ;
combat contre les tendances foncièrement mauvaises de l’homme et engagement
missionnaire au service du peuple américain qui doit se soumettre à la loi
religieuse donc morale.
C’est ainsi que le movement de la Moral Majority conduit par le oasteur
Jerry Faldwell a apporté son soutien en 1980 à la candidature de Ronald Reagan.
Ce refus du changement et cet
attachement à l’ordre éternel perpétue la culture patriarcale, et donc les
hiérarchies conjugale, familiale, sociale pour assurer la stabilité du monde.
C’est un modèle englobant où les représentations mentales inégalitaires sont
profondément intériorisées par les hommes et par les femmes et justifiées par
un discours de nature, lui-même justifié par l’autorité divine.
Les courants fondamentalistes
américains sont d’autant plus dangereux qu’ils combinent trois éléments :
- la
puissance économique,
- l’influence
politique,
- l’impact
médiatique.
Ils constituent une menace réelle en
particulier pour l’autonomie et la marche vers l’égalité des femmes et des
hommes d’autant plus qu’ils cherchent à nouer des alliances avec d’autres
lobbies politiques ou religieux intégristes pour imposer leur choix de société.
On a vu à Pékin et au Caire comment ce système pouvait constituer une véritable
violence à l’égard des femmes.
Mais pourquoi cette violence se
projettent-elle sur les femmes ? Pourquoi en sont-elles la cible ?
Peut-être parce que nous touchons ici à la différence
première – celle qui est à l’origine de toutes les autres – qui a donné lieu,
aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire à la « valence
différentielle des sexes », comme l’appelle l’anthropologue Françoise
Héritier.
Dès lors interfèrent trois éléments qui
se nouent ensemble à la racine de cette discrimination : la sexualité, le
pouvoir et le mal.
- la
sexualité, à cause de la fascination devant la capacité de la femme à donner la
vie
- le
pouvoir, parce que la domination masculine s’est affirmée à la fois par la
volonté de contrôler le corps des femmes et par leur volonté de donner le sens
- le
mal, parce que la femme apparaît comme l’autre
menaçante, menaçante précisément parce que autre. C’est la différence,
l’altérité, qui est ressentie comme la menace.
L’intégrisme dévoile et réactive à la fois cette liaison très
ancienne de la sexualité, du pouvoir et du sacré.
II Comment le
Protestantisme peut-il aujourd’hui, à partir de son fondement même, de ses
grands principes : sola scriptura,
sola gratia, sola fide, et de sa
tradition lutter contre cette violence ?
Certes, les
grandes églises protestantes ont aboli dans leur constitution toutes formes de
discrimination contre des femmes, en particulier en ce qui concerne l’accès des
femmes au ministère pastoral. Mais un long chemin reste à parcourir pour passer
de l’égalité de droit et de principe à l’égalité de fait.
J’évoquerai
quatre chantiers qui me semblent prioritaires ;
1)
le travail d’interprétation critique des textes par une lecture
renouvelée, plurielle de la Bible. En effet, les lectures ont trop souvent servi,
et servent encore à légitimer l’infériorisation des femmes, car ces textes sont
issus de cultures patriarcales et certains textes, pris au pied de la lettre,
comme par exemple :
« Femmes, soyez soumises à vos maris… (Eph 5,22)
« Que les femmes se taisent dans les assemblées…(1 Cor 14,34)
justifient la subordination des femmes.
Il s’agit donc de resituer les textes dans leur historicité,
de les interroger à partir de tous les outils actuels de la recherche, de
prendre en compte les travaux de plus en plus nombreux des théologiennes
féministes, de rendre visible l’histoire oubliée ou censurée des femmes et de
rechercher ce qui, au cœur de l’Evangile, est message et promesse de
libération.
2)
Une éducation à la mixité.
La domination masculine est si profondément
enracinée dans nos mentalités qu’un travail d’éducation dans la longue durée
s’impose non seulement pour dépasser les préjugés, les stéréotypes, les
réflexes misogynes, mais plus encore pour engendrer un regard nouveau sur
l’autre.
C’est une éducation qui ne devrait pas
s’arrêter à la conquête de l’égalité, certes nécessaire, mais qui aurait pour
finalité un réel partage des tâches, des fonctions, de l’autorité dans un souci
de réciprocité.
3)
L’accueil de l’étranger et le refus des exclusions
De nombreux
passages bibliques attestent de l’importance pour les
croyants de donner une place à
l’étranger. Dans ce temps où l’on assiste à des déplacements de population en
masse, il faut peut-être rappeler que les étrangers sont aussi des étrangères.
Le combat contre les intégrismes ne
vise pas seulement le sexisme mais toutes les formes de discimination qu’elles
soient d’ordre racial, social ou national.
4)
L’importance de la laïcité
Nos sociétés sont désormais des
sociétés plurielles à la fois
pluri-culturelles, pluri-religieuses, et pluri-ethniques.
La laïcité, en tant que séparation de
l’Eglise et de l’Etat, requiert que nulle autorité religieuse n’impose ses
normes propres à l’ensemble de la vie sociale.
Mais la laïcité, parce qu’elle est
également une culture du débat, de la
délibération commune, construit un vivre ensemble dans une humanité plurielle.
Or, aujourd’hui, il nous faut inventer
des réponses neuves à des problèmes sans précédent, par exemple dans le domaine
de la bio-éthique, des manipulations génétiques, du nucléaire, de
l’environnement, des routes de la communication. C’est de l’exercice laborieux
de la pluralité que surgiront les réponses. Dans ce travail, les femmes doivent
être partie prenante à part entière avec l’expérience et le génie qui leur sont
propres.
En conclusion, je reprendrai
l’affirmation du philosophe Paul Ricœur, « C’est du fond même d’une conviction forte qu’il y a le péril de la
violence ». Cette relation entre conviction et violence est encore
plus forte s’agissant de la conviction religieuse, car la religion concerne la
quête de l’absolu, et toute religion est portée à absolutiser sa propre vision
du monde, et à exclure toute autre vision.
Il est d’autant plus nécessaire de
ressaisir dans nos traditions religieuses respectives la parole subversive,
libératrice dont elles témoignent. Ce que tentent de faire aujourd’hui, parmi
d’autres, les théologies féministes.
Christaine Delteil
Genève, 17 janvier 2000
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