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mouvement des femmes Iraniennes

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Sunday, December 18, 2011

Protestantisme fondamentaliste





Je suis une laïque protestante. Je fais partie de l’Eglise Réformée de France qui est membre de la Fédération Protestante de France, et je suis également membre d’une ONG, le Mouvement Jeunes Femmes d’origine protestante, mais qui s’est affirmé dans ses statuts féministe et laïque.

C’est à partir de cette double appartenance que je vais tenter d’introduire le problématique des intégrismes religieux protestants.

1.           Dans le Protestantisme, on parle moins d’intégrisme que de fondamentalismes au pluriel, car le Protestantisme est d’abord un fait pluriel.
Il y a des églises protestantes, se référant à des traditions théologiques différentes, contrairement à l’Eglise Catholique qui a une structure centralisée. Il h’y a pas de doctrine unique qui s’impose à tous, même s’il y a des affirmations et des références communes, car il n’y a pas de magistère qui imposent une norme de pensée ou de foi.
Les fondamentalismes représentent une minorité dans le Protestantisme. Les grandes Eglises se caractérisent plutôt par un esprit d’ouverture ; elles ont d’ailleurs été les premières à accepter l’ordination des femmes, elles ont pris position en faveur de la liberté de choix en matière d’avortement, elles ont participé à la laïcisation de la société.

Pour comprendre l’origine et les manifestations du fondamentalisme protestant, il faut aller chercher Outre-Atlantique, aux U.S.A., où il est né au début du 20ème siècle.
Entre 1910 et 1915 parurent aux USA 12 petits traité intitulés : The Fundamentals : A testimony to the Truth ». Leurs auteurs affirmaient contre le libéralisme protestant un certain nombre de points de foi qu’ils jugeaient non négociables. Le fondamentalisme a donc été au départ une position théologique qui réaffirmait une fois très traditionnelle contre le libéralisme ambiant et contre le Christianisme social, qui leur paraissaient saper les fondements de la foi chrétienne.
Un texte paru dans The Presbyterian en 1920 nous fournit les clés de cette vision fondamentaliste.
« Il faut se souvenir que l’Amérique a été engendrée par des ancêtres moraux, qu’elle est bâtie sur un fondement moral éternel… Ce fondement, c’est la Bible, la Parole infaillible de Dieu…Mais un affaiblissement de cette norme morale s’est produit dans la vie de l’Amérique qui est le fruit d’une période où a régné la luxure à l’intérieur et la liberté due à l’absence de conflits avec l’extérieur. Il n’y a qu’un remède : la nation doit retourner à son modèle initial de la Parole de Dieu… La Bible et le Dieu de la Bible sont notre seul espoir. L’Amérique est placée devant un choix. Elle doit remettre la Bible à la place qu’elle avait historiquement dans la famille, à l’école, au collège et à l’université, à l’Eglise comme à l’école du dimanche ».

         Le fondamentalisme a une triple visée ;

-      théologique ; croyance en la Parole Infaillible de Dieu et donc attachement à la littéralité de l’Ecriture`
-      politique ; protestation contre la modernité culturelle, refus de la théorie de l’évolution, et retour à l’ordre ancien, à la Genèse comme création divine
-      morale ; combat contre les tendances foncièrement mauvaises de l’homme et engagement missionnaire au service du peuple américain qui doit se soumettre à la loi religieuse donc morale.

C’est ainsi que le movement de la Moral Majority conduit par le oasteur Jerry Faldwell a apporté son soutien en 1980 à la candidature de Ronald Reagan.

Ce refus du changement et cet attachement à l’ordre éternel perpétue la culture patriarcale, et donc les hiérarchies conjugale, familiale, sociale pour assurer la stabilité du monde. C’est un modèle englobant où les représentations mentales inégalitaires sont profondément intériorisées par les hommes et par les femmes et justifiées par un discours de nature, lui-même justifié par l’autorité divine.

Les courants fondamentalistes américains sont d’autant plus dangereux qu’ils combinent trois éléments :
-      la puissance économique,
-      l’influence politique,
-      l’impact médiatique.

Ils constituent une menace réelle en particulier pour l’autonomie et la marche vers l’égalité des femmes et des hommes d’autant plus qu’ils cherchent à nouer des alliances avec d’autres lobbies politiques ou religieux intégristes pour imposer leur choix de société. On a vu à Pékin et au Caire comment ce système pouvait constituer une véritable violence à l’égard des femmes.

Mais pourquoi cette violence se projettent-elle sur les femmes ? Pourquoi en sont-elles la cible ?
Peut-être parce que nous touchons ici à la différence première – celle qui est à l’origine de toutes les autres – qui a donné lieu, aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire à la « valence différentielle des sexes », comme l’appelle l’anthropologue Françoise Héritier.

Dès lors interfèrent trois éléments qui se nouent ensemble à la racine de cette discrimination : la sexualité, le pouvoir et le mal.
-      la sexualité, à cause de la fascination devant la capacité de la femme à donner la vie
-      le pouvoir, parce que la domination masculine s’est affirmée à la fois par la volonté de contrôler le corps des femmes et par leur volonté de donner le sens
-      le mal, parce que la femme apparaît comme l’autre menaçante, menaçante précisément parce que autre. C’est la différence, l’altérité, qui est ressentie comme la menace.
L’intégrisme dévoile et réactive à la fois cette liaison très ancienne de la sexualité, du pouvoir et du sacré.

II       Comment le Protestantisme peut-il aujourd’hui, à partir de son fondement même, de ses grands principes : sola scriptura, sola gratia, sola fide, et de sa tradition lutter contre cette violence ?

         Certes, les grandes églises protestantes ont aboli dans leur constitution toutes formes de discrimination contre des femmes, en particulier en ce qui concerne l’accès des femmes au ministère pastoral. Mais un long chemin reste à parcourir pour passer de l’égalité de droit et de principe à l’égalité de fait.

         J’évoquerai quatre chantiers qui me semblent prioritaires ;

1)          le travail d’interprétation critique des textes par une lecture renouvelée, plurielle de la Bible. En effet, les lectures ont trop souvent servi, et servent encore à légitimer l’infériorisation des femmes, car ces textes sont issus de cultures patriarcales et certains textes, pris au pied de la lettre, comme par exemple :

« Femmes, soyez soumises à vos maris… (Eph 5,22)
« Que les femmes se taisent dans les assemblées…(1 Cor 14,34)

justifient la subordination des femmes.

Il s’agit donc de resituer les textes dans leur historicité, de les interroger à partir de tous les outils actuels de la recherche, de prendre en compte les travaux de plus en plus nombreux des théologiennes féministes, de rendre visible l’histoire oubliée ou censurée des femmes et de rechercher ce qui, au cœur de l’Evangile, est message et promesse de libération.

2)          Une éducation à la mixité.
La domination masculine est si profondément enracinée dans nos mentalités qu’un travail d’éducation dans la longue durée s’impose non seulement pour dépasser les préjugés, les stéréotypes, les réflexes misogynes, mais plus encore pour engendrer un regard nouveau sur l’autre.
C’est une éducation qui ne devrait pas s’arrêter à la conquête de l’égalité, certes nécessaire, mais qui aurait pour finalité un réel partage des tâches, des fonctions, de l’autorité dans un souci de réciprocité.

3)          L’accueil de l’étranger et le refus des exclusions
De nombreux passages bibliques attestent de l’importance pour les
croyants de donner une place à l’étranger. Dans ce temps où l’on assiste à des déplacements de population en masse, il faut peut-être rappeler que les étrangers sont aussi des étrangères.
Le combat contre les intégrismes ne vise pas seulement le sexisme mais toutes les formes de discimination qu’elles soient d’ordre racial, social ou national.

4)          L’importance de la laïcité
Nos sociétés sont désormais des sociétés plurielles à la fois
pluri-culturelles, pluri-religieuses, et pluri-ethniques.
La laïcité, en tant que séparation de l’Eglise et de l’Etat, requiert que nulle autorité religieuse n’impose ses normes propres à l’ensemble de la vie sociale.
Mais la laïcité, parce qu’elle est également une culture du débat,  de la délibération commune, construit un vivre ensemble dans une humanité plurielle.

Or, aujourd’hui, il nous faut inventer des réponses neuves à des problèmes sans précédent, par exemple dans le domaine de la bio-éthique, des manipulations génétiques, du nucléaire, de l’environnement, des routes de la communication. C’est de l’exercice laborieux de la pluralité que surgiront les réponses. Dans ce travail, les femmes doivent être partie prenante à part entière avec l’expérience et le génie qui leur sont propres.
En conclusion, je reprendrai l’affirmation du philosophe Paul Ricœur, « C’est du fond même d’une conviction forte qu’il y a le péril de la violence ». Cette relation entre conviction et violence est encore plus forte s’agissant de la conviction religieuse, car la religion concerne la quête de l’absolu, et toute religion est portée à absolutiser sa propre vision du monde, et à exclure toute autre vision.

Il est d’autant plus nécessaire de ressaisir dans nos traditions religieuses respectives la parole subversive, libératrice dont elles témoignent. Ce que tentent de faire aujourd’hui, parmi d’autres, les théologies féministes.

Christaine Delteil
Genève, 17 janvier 2000

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