Virilités et pouvoirs: les révoltes arabes
De «révolution en
révolution», les femmes sont tantôt voilées, dévoilées, exhibées et enfermées.
Il est connu et reconnu
que les dictatures enferment, musèlent et violentent les peuples dans toutes leurs composantes que
ce soient les hommes, les femmes et toutes les minorités.
Les révolutions, quant
elles sont sensées libérer les peuples dans toutes leurs composantes,comprenant
bien par là que cela ne peut se réaliser qu'à travers la démocratie. Démocratie
qui doit aux minorités leur protection et leur liberté (A. Camus)
Les révolutions arabes ou
comme les appellent certains, les printemps arabes seraient l'expression de la
volonté des peuples d'exigence d'un changement de l'ordre politique,
économique, culturel et moral des systèmes politiques dictatoriaux, corrompus
et despotes en place.
Ces dites révolutions
lancées et portées par une jeunesse coordonnées par des réseaux sociaux
virtuels voient leurs aboutissements se dessiner par les prises de pouvoirs par
les hommes et presque exclusivement des hommes. Et voilà que les hommes
déclarent héroïquement un projet de société fondé sur la religion qui consacre
la virilité ( le masculin): « juchée sur son socle théologico- juridique»
(N.Tazi): «aucune revendication politique n'ébrèche cette identité qui
se rapporte à la naissance... le commandement s'identifie au commencement.»
N'est-ce pas qu'Ibn
Khaldùn dit que «l'homme est un chef par nature», et qu' «il est fait
pour commander parce qu'il est le représentant de Dieu sur terre.» Ici et
là à travers les écrits et les plateaux télé beaucoup de chercheurs,
intellectuels et politiques s'évertuent à nous convaincre de la grandeur de ces
révolutions. Ces mêmes révolutions qui ont ,certes, le mérite d'avoir balayées
les dictateurs mais n'assurent pas pour autant l'avènement d'une démocratie
réelle et effective.
Alors à ceux et à celles
qui savent parfaitement que la démocratie ne se limite pas qu'à la chute des
dictateurs et le recours aux urnes, nous leur demandons de nous raconter la
vérité des intérêts qui se cachent derrière leurs analyses relativistes. Et si
intérêt, il n' y en a pas, alors que la
solidarité des hommes et des femmes libres et égaux s'expriment en termes de
liberté de conscience, de partage des pouvoirs et des richesses, d'égalité de
droits entre les hommes et les femmes.
Mais face à certains
discours entachés de spécificités culturelles pour ne pas dire religieuses, en tant que femmes issues de ces
pays là, nous nous demandons pourquoi ne pas être nées «homme» où alors
pourquoi nos pères n'ont pas eu la même idée que le père d'Ahmed, née fille,
élevée et présentée à la société comme garçon. Cette histoire témoigne de la
relation triangulaire entre religiosité, virilité et pouvoir; elle aborde la
relation entre domination et «soumission enchantée» des femmes expliquée par Jeanne
Favret saadi dans «la conscience dominée, fragmentée et contradictoire
de l'opprimée ou de l'envahissement de
la conscience des femmes par le pouvoir
physique, juridique et mental des hommes.» Ainsi que la «conscience
dominée» qui «annule quasiment toute responsabilité de la part de
l'oppresseur.» (Nicole-Claude Mathieu)
Voici une lecture
succincte du roman l'Enfant de sable: « Naitre «garçon» est un
moindre mal... naitre fille est une calamité, un malheur qu'on dépose
négligemment sur le chemin par lequel la mort passe en fin de journée» P
169. Le récit à travers des têtes de chapitres évoquant sept (7) portes
correspondant elles-mêmes aux 7 jours de la semaine et renvoyant aux différentes
étapes linéaire de la vie, nous présente l'obsession du père El Haj
d'avoir une progéniture mâle même si c'est une fille, la porte du jeudi s'ouvre
sur le défi que le père d'Ahmed lance au destin: « l'enfant à naître sera un
mâle même si c'est une fille», « le père pensait qu'une fille aurait pu suffire. Sept, c'était
trop, c'était même tragique. Que de fois il se remémore l'histoire des Arabes
d'avant l'Islam qui enterraient leurs filles vivantes! Comme il ne pouvait pas
s'en débarrasser, il cultivait à leur égard non pas de la haine, mais de
l'indifférence.» Elles sont pour le père une hantise, une graine maudite
voire une malédiction. Ainsi au début si les portes étaient larges et
accueillantes symbolisant le recouvrement de l'honneur du père et la
reconnaissance, enfin retrouvée d'une mère n'ayant enfantée que des filles;
elles rétrécissent au même rythme des changements physiques, physiologiques et
psychologiques d'Ahmed. Aussi tout au long du récit et jusqu'à sa mort, le père
demeure déterminé à renier, non
seulement, l'essence féminine du sexe de son enfant mais à l'abolir
complètement, et par tous les moyens. L'apprentissage d'Ahmed est orienté vers
les comportements virils et la soumission des femmes par les hommes. Malgré une
période d'adolescence trouble, ambiguë et foisonnante de questionnements liés à
l'identité sexuelle et de genre, Ahmed ne mit pas longtemps à porter son choix
sur le genre masculin car comme il le dit : «...ma condition, non seulement
je l'accepte et je la vis, mais je l'aime. Elle m'intéresse. Elle me permet
d'avoir les privilèges que je n'aurais jamais pu connaître. Elle m'ouvre des
portes et j'aime cela, même si elle m'enferme ensuite dans une cage de vitres.»
Il s'adresse, par ailleurs à ses sœurs: « vous me devez obéissance et
respect. Enfin inutile de vous rappeler que je suis homme d'ordre et que, si la
femme chez nous est inférieure à l'homme, ce n'est pas parce que Dieu l'a voulu
ou que le Prophète l'a décidé, mais parce qu'elle accepte ce sort. Alors
subissez et vivez dans le silence.»
Toutes celles et ceux qui
ont eu l'occasion de lire ce roman, ont pu constater que les références à la
religion ne sont pas anodines, mais
un thème central de l'histoire. Il est, alors intéressant de constater comment
Tahar Benjelloun réussit à concilier et même confondre le personnage, son
histoire et ses actes avec la religion. Mais quelle ne fut le choc d'Ahmed quand il vît l'expérience du genre
féminin et réalise toutes les violences sociales et sexuelles réservées aux
femmes. C'est dire que les violences faites aux femmes ne sont ni un fruit du
hasard ni commises par certains hommes à soigner, mais bel et bien un pouvoir
politique et idéologique qu'il ne s'agira pas de solutionner ni par l'ouverture
des structures de soins ni par la mise en avant d'une poignée de femmes alibi,
mais par une transformation fondamentale
des lois et des mentalités .
Alors, femmes et hommes
d'ici, de là-bas et d'ailleurs épris de justice sociale et culturelle, de
liberté de conscience et d'égalité de droits, continuons la lutte car comme le dit Gramsci:
«après
la lutte, il y a la lutte.»
Salima
Deramchi et Salima Mousli
Féministes Laïques Algériennes
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