Liberation
Procès des tournantes : Nina n’est pas Christine
Angot
17 octobre 2012
TRIBUNE «On» a dit de ce procès qu’il
était un fiasco. Comment pouvait-il en être autrement après treize ans?
Par LAURE HEINICH-LUIJER L’une
des avocates des deux plaignantes
Nina et Aurélie se sont présentées devant la cour
d’assises de Créteil avec un nom et un prénom. Cela a dû les changer. Pendant
des années, c’était «pute». Un nom, une identité. «Les
deux plus grosses putes de Fontenay», dit aux policiers en 2006
l’un des accusés de viols collectifs commis sur les deux filles. A l’audience,
en 2012, l’insulte a à peine changé : «Grosse vache, tu crois que
je t’ai violée ?» Sept ans après sa plainte,
treize ans après les faits, Nina a 29 ans sur sa carte d’identité.
Mais elle est morte à 16 ans. Puis s’est recouverte de 120 kilos pour
s’enterrer. Elle est morte violée dans une tour, puis dans un escalier, dans
des appartements, des box, des caves et même sur des jeux d’enfants. Elle a été
brûlée par une cigarette, frappée, les types faisaient la queue pour se faire
sucer. Parfois, il y avait tellement de monde qu’ils disent avoir renoncé. Mais
toutes ces fois-là, selon eux, elle aurait «aimé». «On» a dit de
ce procès qu’il était un fiasco. Comment pouvait-il en être autrement après
treize ans ? Comment peut-il en être autrement tant que les cours
d’assises attendent des victimes qu’elles parlent comme des chercheurs, des
écrivains ? Personne ne parle comme Christine Angot écrit.
Doit-on attendre des victimes qu’elles
exposent de façon linéaire, qu’elles soient construites comme quelqu’un qui n’a
pas souffert ? N’est-ce pas le moindre mal d’être fragile quand on a été violée
?
Nina sortait de l’audience à tout bout de
champ et cela rendait le débat particulièrement brouillé et tourmenté. C’est
une fille trop abîmée pour bien se présenter. Avec la violence des débats, ce
que je n’aurais pas compris, c’est qu’elle ne sorte pas. Angot dit avoir voulu
décrire la réalité du viol, c’est-à-dire «quelqu’un en train de
mourir». Les accusés ne s’y sont pas trompés quand ils ont été
auditionnés : ils ne disent pas l’avoir baisée, ils disent l’avoir «butée».
Il faudrait que les cours d’assises
conçoivent que les butés ne sont pas cohérents comme les vivants.
La cour n’a pas compris que pendant ces six mois de
mise à mort, Nina a été capable de sourire à table. Pour la défense, «quand
on est violée, on ne réagit pas comme ça». L’expert psychiatre l’a pourtant
expliqué par le clivage, un mécanisme de survie qui permet de sauver les
apparences, allant jusqu’à dire que, pour Nina, c’était se cliver ou exploser.
Mais les cours d’assises sont-elles armées pour dépasser les apparences ?
Si tous les experts sont venus affirmer que
ses symptômes étaient la preuve des agressions, et se sont accordés pour dire
qu’elle n’était pas dans la victimisation, il demeure qu’être meurtrie, un peu
morte sans être enterrée, a nui à Nina dont la douleur a inondé la cour et l’a
dérangée.
La violence des débats à l’audience a
empêché toute réflexion. A entendre les réactions médiatiques après le verdict
(10 acquittés, 4 condamnés à des peines majoritairement assorties du
sursis), brutes et sans aucune complexité, la réflexion a cédé devant
l’émotion. Il faut pourtant que l’horreur des faits arrête d’entraver la pensée.
Du côté de Nina, nous disons qu’il faudrait
que les cours d’assises soient davantage formées pour comprendre à quel
point il est difficile de se remémorer, pour comprendre «comment
on est quand on est violée». Du côté de Nina, nous rageons
contre le juge d’instruction qui n’a pas fait les actes nécessaires,
contre le parquet qui a mis trois ans à audiencer l’affaire (et encore
sans le recours à la presse, le dossier dormirait toujours sous une pile et un
oreiller), et contre la défaillance de l’accusation d’audience qui a desservi
les intérêts de tous, parties civiles comme accusés. Du côté de Nina, alors que
la mémoire est nécessairement traumatique et ampute les souvenirs des
plaignantes, nous disons que le doute doit profiter à l’accusé. D’ici, personne
ne remet en cause le principe de la présomption d’innocence, rempart
démocratique indispensable de notre société.
Nina dit d’ailleurs comprendre certains
acquittements par manque de preuves. Mais cela, les médias ne le relaient
pas.
Les médias préfèrent dire qu’un procès doit
être réparateur pour les victimes, alors qu’il ne fait aucun doute qu’elles
doivent se reconstruire ailleurs. Ils desservent les victimes en répandant
cette idée-là. Mais peu leur importe puisque l’opinion ne fonctionne qu’à
grands renforts d’émotions.
D’où vient cet intérêt soudain qui est
porté à Nina alors que cela fait des années que l’institution judiciaire s’en
est moquée ? Faut-il qu’une fille qui parle avec sa peau vienne hurler pour se
sentir impliquée ?
Le débat médiatique devient «pour ou contre
Nina», «pour ou contre les tournantes». Et puis le débat s’arrêtera là,
laissant la vie d’autres filles sous d’autres piles de dossiers à attendre des
années que la justice veuille s’y intéresser.
Il existe un motif de réjouissance malgré
tout : les temps ont changé car Nicolas Sarkozy aurait déjà annoncé une
loi à voter. Une réjouissance un peu atténuée puisque des politiques ont cru
devoir réagir sans se préoccuper de ce qui avait vraiment échoué dans ce
dossier.
«On» parle beaucoup du verdict mais il
n’est que l’aboutissement de multiples dysfonctionnements.
Le verdict était vicié dès le départ. A
quoi pouvait-on s’attendre treize ans après les faits ?
La peine ne sanctionnant pas qu’un crime
mais un homme qui a commis un crime à un moment donné, une réponse pénale
aussi tardive ne peut pas avoir de sens. Ce sont les manquements judiciaires
successifs qui ont mis la cour dans une impasse.
Aucune peine ne peut être cohérente à ce
moment-là : ni la condamnation à de la prison ni son absence.
Le parquet a fait appel sous la pression
médiatique - les victimes ne s’étant pas déclarées favorables préalablement. Il
n’y a pas lieu de se réjouir d’un appel dans de telles conditions.
Le dysfonctionnement de cette affaire, il
fallait s’en préoccuper avant.
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