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mouvement des femmes Iraniennes

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Tuesday, March 12, 2013

sport


À la Rencontre d'Annie Sugier

Échange autour de son livre Femmes voilées aux Jeux Olympiques (ou Les femmes courent-elles moins vite que les Noirs ?)

Ana Pak : Comment et à quel moment as-tu été sensibilisée à cette lutte : l'exclusion des femmes du monde du sport ou le fait d'imposer leur présence voilées ?

Annie Sugier : D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours été révoltée par le simple fait de savoir qu’il existait des pays où les femmes étaient voilées. La première fois que j’en ai vue j’ai été littéralement choquée : c’était à Londres il y a bien longtemps. Mais c’est en 1979 avec l’arrivée au pouvoir en Iran de Khomeiny que l’évidence s’est imposée : ce « morceau de tissu » n’était plus une sorte de résidu de l’histoire, mais bien le symbole de l’Islam politique en pleine expansion  et de la régression du droit des femmes. Je ne m’attendais pourtant pas à ce que dans un pays laïc comme la France on assiste à une épidémie de voiles islamiques ni surtout, comme ce fut le cas lors des différentes « affaires de voile », à ce que le mouvement féministe puisse se déchirer sur un tel sujet !
S’agissant du port du voile dans le sport, ma prise de conscience est venue bien plus tardivement, car ce n’est qu’en 1996 à Atlanta qu’est apparue la première femme voilée, porte drapeau (tout un symbole !) de la délégation du régime islamique d’Iran à Atlanta.

Pourquoi les « Femmes courent-elles moins vite que les Noirs » ?

Peux-tu nous parler de ton livre, quelle est l'origine de sa création, et quels obstacles as-tu rencontrés ?
Ce que je veux dire par cette formule c’est que la lutte contre le racisme a toujours une longueur d’avance sur la lutte contre le sexisme. Je donne d’ailleurs de multiples exemples dans le livre : en France les révolutionnaires au moment même où ils décrètent l’abolition de l’esclavage (qui sera rétabli par Napoléon) refusent aux femmes les droits civiques ; aux États-Unis, au lendemain de la guerre de Sécession,  le droit de vote est accordé aux hommes Noirs mais pas aux femmes, quelle que soit leur couleur de peau ! Elles devront attendre cinquante ans…Encore aujourd’hui, l’Église catholique a ordonné des prêtres noirs, asiatiques, indiens, etc. mais toujours pas de femmes. L’idée de traiter de ce sujet à travers l’exemple des Jeux Olympiques m’est venue par hasard, en regardant les JO de Barcelone en 1992 et en entendant la presse se réjouir du retour de la délégation d’Afrique du Sud enfin mixte – Noirs et Blancs - exclue pendant trente ans pour cause d’apartheid racial. Or au même moment personne ne remarquait qu’il y avait trente-cinq délégations sans femmes ! Ma première idée a été d’agir contre cet aveuglement. L’idée du livre est venue bien plus tard : pour marquer les vingt ans de notre combat. Pour expliquer ce que certains ne veulent ni entendre ni comprendre.  Pratiquement tous les éditeurs ont refusé la simple idée d’un tel livre : cela n’intéresserait personne, ce n’était pas un  sujet suffisamment important pour mériter qu’on en fasse un  livre,…

Pourquoi la lutte contre l'apartheid raciste était plus facile à soutenir aux Jeux Olympiques que la lutte contre l'apartheid sexiste ?

La lutte contre l’apartheid n’a pas été facile, loin de là. Il a fallu la révolte d’un peuple, la solidarité des pays africains nouvellement indépendants, des années de prison pour celui qui allait devenir le grand Mandela, des conférences, des résolutions des Nations-Unies, des pressions de tous ordres à l’encontre du régime de Pretoria, des tensions internationales majeures. Or justement rien de cela ne peut accompagner la dénonciation de la ségrégation sexuelle. C’est comme si le statut des femmes était une simple affaire interne privée, propre à un État, et  dont la communauté internationale n’ose pas s’occuper. D’ailleurs, la réaction du CIO confrontée à nos critiques sera très révélatrice. Sous la plume de Fékrou Kidane le bras droit du président du CIO il écrira dans la Tribune de mars 1995 que « oser comparer l’apartheid pratiqué en Afrique du Sud à la situation des femmes dans le sport, c’est insulter Mandela et le peuple noir dans son ensemble ». Une façon de faire croire que nous ne parlions que du sport.

Quelle est la particularité et la difficulté de la lutte pour abolir l'apartheid sexiste ?

C’est d’abord qu’il est légitimé par une religion. Les femmes sont sans doute le seul groupe opprimé dont le statut d’infériorité trouve sa justification dans les paroles supposées de Dieu. Les trois religions monothéistes affirment en effet la hiérarchie homme/femme découlant du fait que l’homme aurait été créé en premier. Dès lors, à chaque poussée de fièvre religieuse, les femmes se trouvent en difficulté. Surtout quand il est question du corps des femmes et de la liberté de disposer de son corps y compris pour faire du sport. Comble de malheur, les femmes qui recherchent avec obstination la reconnaissance de leur groupe social, veulent apparaître comme « respectables » et ont tendance à s’accrocher à la religion (ou à la tradition) comme à une bouée de sauvetage.  D’ailleurs c’est ce même argument, le respect des exigences religieuses ou culturelles, qui est avancé par les États signataires de la Convention des Nations Unies pour l’Élimination des Discriminations à l’encontre des Femmes (CEDAW), pour justifier les réserves qu’ils émettent à la mise en application de ce texte pourtant fondamental.

Au nom de quel principe les femmes étaient-elles et sont-elles encore exclues des JO ?

Il y avait deux catégories de pays excluant les femmes. Les pays pauvres, principalement les pays africains et quelques pays d’Amérique Latine qui, n’ayant pas beaucoup d’argent le consacrent en priorité aux hommes. C’est vrai pour la nourriture, l’éducation, le travail… bref, c’est la discrimination ordinaire. C’est grave mais si on leur donne de l’argent destiné spécifiquement au sport pour les femmes, ils envoient des sportives. Par contre pour des pays comme l’Arabie Saoudite, il ne s’agit évidemment pas  d’une question d’argent, mais bien d’une société construite sur la ségrégation sexuelle. Comme l’était l’apartheid pour l’Afrique du Sud. C’est ainsi que dans un premier temps le nombre de pays excluant les femmes à diminué de façon évidente, passant de trente-cinq à Barcelone à vingt-six à Atlanta puis à dix à Sydney. Restait le noyau dur des pays islamiques. L’Iran, lui, comme je l’indiquais plus haut, avait déjà anticipé ce problème en définissant une double stratégie : organiser des Jeux Séparés pour les femmes des pays islamiques (hors de la présence des médias et des hommes) et envoi d’une femme voilée de la tête aux pieds à Atlanta. Parallèlement les envoyées de Téhéran faisaient du lobbying pour obtenir la modification des codes vestimentaires sportifs afin d’intégrer le costume islamiquement correct.

Pourquoi est-il si important que les femmes soient présentes aux JO ?

D’abord parce que faire du sport est un droit fondamental reconnu comme tel par les Nations-Unies. Ensuite parce que le sport est un miroir grossissant de nos sociétés et que c’est une façon éclatante de s’attaquer aux stéréotypes. Enfin et surtout parce que nous pouvons nous appuyer sur une loi unique : la Charte Olympique à laquelle chaque athlète prête serment et qui exclut toute forme de discrimination et interdit toute expression politique ou religieuse. Ici les « réserves » n’ont pas leur place. Nous pouvons donc cibler directement les États.

Pour quelles raisons les femmes, les féministes ne s'intéressent pas à ces luttes ? Est-ce parce que nous sommes étrangères à nos corps ?

En fait on a un double problème : les féministes sont plutôt des intellectuelles et elles se disent que le sport n’est pas un combat principal. Quant aux sportives elles ne se déclarent pas féministes, sans doute parce qu’elles ont déjà assez de mal à s’imposer dans un monde fait par et pour les hommes sans vouloir ajouter une difficulté supplémentaire. Ce sont donc deux mondes qui ne se parlent guère et qui pourtant, l’histoire est là pour en témoigner, ont eu une grande influence l’un sur l’autre. À chaque grande vague féministe il y a eu un développement parallèle du sport féminin. L’enjeu aujourd’hui est sans doute de faire se rencontrer ces deux mondes. Enjeu particulièrement crucial s’agissant des pays sous la loi islamique.

Quelles discriminations contre les femmes sont encore pratiquées aujourd'hui ?

Elles touchent à tous les aspects de la vie sociale, politique, personnelle. Un  livre n’y suffirait pas. C’est d’ailleurs l’une des explications du morcellement du mouvement des femmes. L’intérêt de nous battre sur le thème du sport est justement de travailler sur tous ces aspects. C’est ainsi que nous avons listé sept revendications à l’intention du CIO pour Londres 2012 en résumant cela par un slogan « Justice pour les femmes ». Il s’agit de dénoncer les discriminations ordinaires (nombre de médailles distribuées, plafond de verre, reconnaissance médiatique, exclusion, voile islamique, ségrégation, stéréotypes et violences).

Combien de délégations censées représenter leur pays aux JO ne comprennent aucune femme sportive ? Quelles sont les raisons politiques et pratiques de ces délégations sans femmes ?

En 2008 aux JO de Pékin il y avait encore trois délégations sans femmes : celles de l’Arabie Saoudite, du Qatar et de Brunei. À Londres en 2012, la pression du CIO s’étant enfin intensifiée, il ne restera plus sans doute que l’Arabie Saoudite à n’envoyer que des hommes. Il faut savoir que dans ce pays qui pratique un islam très rigoriste, le wahhabisme, le sport est même interdit dans les collèges et les écoles publiques. Il n’y a même pas de stade pour les filles. Le président du CNO d’Arabie Saoudite a fait des déclarations contradictoires, tantôt affirmant que devant les menaces d’exclusion son pays enverrait des femmes saoudiennes qui ont pu s’entraîner à l’étranger. Puis il est revenu sur cette annonce affirmant qu’aucune Saoudienne n’aurait l’aval des autorités sportives saoudiennes. L’obstacle principal avancé dans les pays islamiques est « la promiscuité résultant de la mixité ». Naturellement, cet obstacle ne joue que pour les femmes.
Deuxième argument : les femmes n’ayant pu s’entraîner, elles n’ont pas le bon niveau. C’était le prétexte avancé par le Qatar. On sait que la Charte Olympique permet au CIO dans certains cas d’accepter de passer outre ces minimas dès lors que ces athlètes représentent un modèle pour les jeunes.

Dans cette lutte portée par votre association Atlanta +, quels sont les moments où vous vous êtes dit : ouf ! Cela valait la peine de faire tous ces efforts ?

Non, je me suis plutôt dit que cette bataille contre le CIO est sans doute la plus difficile que j’ai eu à mener. C’est vraiment ramer à contre-courant que de dire « il vaut mieux qu’il n’y ait pas de femmes du tout que des femmes voilées ». A priori je pensais que le fait que la règle 50 de la Charte Olympique interdise toute expression politique ou religieuse aurait été un argument suffisant pour comprendre que cette interdiction s’adressait aussi au voile islamique. Or la raison est balayée par les attitudes faussement compassionnelles à l’égard de ces « pauvres femmes qui sans cela ne seraient pas admises aux JO ». Qu’elles soient éventuellement handicapées ou stigmatisées par le costume islamique ne semble gêner personnes.

Le sport c’est le règne de la règle unique. Or on oublie tout cela quand il s’agit des femmes. N’est-ce pas une forme extrême de mépris ?

Lorsque je discute avec les copines  sur la place des femmes dans les JO, je me rends compte de la difficulté de la lutte du comité Atlanta +, car les femmes  avec raison disent que les JO c'est un milieu corrompu et pourri, du coup elles restent totalement étrangères aux luttes que mènent les sportives pour pouvoir percer dans ce monde très masculin et très misogyne. Que faut-il faire pour rompre ce cercle ? Tant que les femmes ne s'intéresseront pas aux JO, elles en resteront exclues, et tant qu'elles en sont exclues, pas de changement possible !
Le monde du sport est sans doute corrompu et macho. Mais c’est le cas de la société toute entière. Si l’on avait attendu qu’il en soit autrement pour revendiquer notre juste place nous serions toujours là à attendre derrière la porte. Étant une féministe égalitariste et universaliste, je ne pense pas que les femmes soient meilleures que les hommes et que nous allons créer un monde plus « beau et plus propre ». Il nous faut investir tous les domaines d’activité parce que ce n’est que justice. Le sport quelles que soient les critiques qu’on lui apporte est le phénomène culturel le plus populaire au monde. Des femmes y trouvent une activité qui les passionne. Il n’est que de regarder Damla Rushdie,  la cavalière saoudienne, qui aux Jeux de la Jeunesse de Singapour, a concouru à 17 ans en 2010, à titre personnel et remporté une médaille de bronze à l’épreuve de saut d’obstacles mixte. Elle s’était entraînée en France car dans son pays le sport est interdit aux filles dans les collèges publics. Le problème est ailleurs : comment faire comprendre aux mouvements féministes qu’il s’agit d’un thème majeur pour l’émancipation et pour casser les stéréotypes ? C’est ce que nous avons commencé à faire en nous alliant au Lobby Européen des Femmes à travers la coordination française.

Pendant que les hommes se disputent les coupes du monde, et s'éclatent  en « dieux des stades », les femmes sont enfermées dans les boxes pour servir les hommes en tant que « prostituées ». Avez- vous des revendications pour abolir la prostitution ?

Nous avons naturellement intégré dans nos sept revendications la question de la prostitution, car on ne peut pas afficher que l'objet principal du sport est la construction d'un « monde meilleur » (cf. la Charte Olympique), et baisser les bras devant la prostitution qui s'étale dès qu'un grand événement sportif a lieu. Ce combat est essentiel, mais il a été bien pris en main par le mouvement féministe. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit réglé. Ce qui se passe en Ukraine pour l'Euro 2012 est révélateur. Des jeunes féministes de Femen sont très actives sur le sujet. Nous avons d'ailleurs protesté suite à l'arrestation le 24 Mai 2012 de Yana Zhdanova, militante de ce groupe féministe : elle a été condamnée à cinq jours de prison ferme après avoir tenté de s'emparer du trophée de L'euro 2012 à Lviv en Ukraine. Ce geste spectaculaire et symbolique de Femen avait pour objectif d'attirer l'attention du public sur le scandale de la prostitution qui accompagne les grandes compétitions sportives, en l'occurrence l'Euro 2012 de football.

Quelles sont vos actions pour le 25 juillet à Londres ?

Nos actions à Londres :

Le 25 juillet 2012, deux jours avant la cérémonie d’ouverture des JO de Londres, le collectif « Londres 2012 : Justice pour les femmes » organisera des actions de protestation contre la non mise en œuvre par le Comité International Olympique des principes d’égalité et de neutralité inscrits dans la Charte Olympique. Le collectif qui présentera ses sept revendications (*) pointera notamment l’exclusion par l’Arabie Saoudite d’athlètes féminines en contradiction avec les principes de non-discrimination et la présence de femmes voilées en contradiction avec la règle de neutralité du sport. Les actions de protestation débuteront par une rencontre publique sur le bateau l’Hispaniola (arrimé près de la station de métro Embankment) de 10h30 à 13h30. Des représentant(e)s du Lobby Européen des Femmes, des associations laïques et de défense du droit des femmes, y compris de pays soumis à la loi islamique, feront des interventions. À la suite de cette rencontre, en début d'après-midi, aura lieu une cérémonie festive avec un orchestre de jazz style Nouvelle Orléans, afin de procéder à l'enterrement symbolique de la Charte Olympique dont les principes ont été abandonnés. Le collectif appellera le Président du CIO à manifester sa volonté de mettre en œuvre la parité en commençant par rendre hommage aux pionnières du sport par un geste symbolique « positif » cette fois-ci : qu'il remette la médaille d'or à la marathonienne comme il le fait pour le marathonien lors de la cérémonie de clôture.


(*) Rappel des sept revendications :
Trois revendications contre les discriminations ordinaires
    1. Parité: dans les disciplines et les épreuves Olympiques
    2.  Organes de décision: présence d'au moins 20% de femmes et engagement à terme vers la parité.
    3. Reconnaissance et visibilité des sportives: le président du CIO devrait remettre la Médaille d’or à la fois au marathonien et à la marathonienne
Trois revendications contre la ségrégation fondée sur le sexe
4. Bannir les délégations composées uniquement d’hommes
5. Bannir les délégations arborant des signes politico-religieux
6. Le CIO ne devrait plus apporter sa caution aux jeux internationaux de la ségrégation organisés par Téhéran pour les femmes
Une revendication plus globale afin de « construire un monde meilleur »
7. Lutter contre les stéréotypes (sexisme, homophobie, transphobie), ségrégation entre JO et Jeux Paralympiques, prostitution autour des Jeux)                     
Rendez-vous le 25 juillet avec vous toutes, lectrices de LM, à Londres.
Propos recueillis par Ana Pak
Brève biographie d'Annie Sugier
Annie Sugier est une militante féministe. Physicienne et chimiste elle a fait toute sa carrière dans le nucléaire où elle a occupé le poste de directrice de la radioprotection dans l'organisme d'expertise publique en sécurité nucléaire.
Dès les années 1970 elle s'est engagée dans le Mouvement de Libération des Femmes.
Elle est présidente de la Ligue du droit international des femmes (LDIF), créée en 1983 par Simone de Beauvoir. Elle mène de multiples combats : le combat contre les violences dont sont victimes les jeunes filles issues de l'immigration : excision, retour forcé au pays, crimes d'honneur. Elle mène aussi une action majeure, celle dite des « mères d'Alger », contre les enlèvements d'enfants issus de couples franco-algériens qui a donné lieu à la signature d'une convention entre la France et l'Algérie.
Annie Sugier mène également un autre combat : celui du sport et en particulier des Jeux Olympiques (à travers une association spécialisée, le Comité Atlanta + créé en 1995) afin de dénoncer l'apartheid sexuel et les discriminations à l'encontre des sportives.
Annie Sugier fait partie du jury du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.
Elle est membre du CA de la CLEF (Femmes Coordination Française du Lobby Européen des Femmes) et du MPCT (Mouvement pour la Paix et Contre le Terrorisme).
Elle est l'auteure de nombreux ouvrages dont le dernier est « Femmes voilées aux Jeux Olympiques ».

Ana Pak
Juin  2012

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