Diaouida Jazaerli,
Avocate au Barreau
d’Alger
Il m’a été demandé
de parler uniquement de ma proper religion, mais je viens d’entendre un long
discours sur le dialogue inter-religieux.
[Jan
de Volder, Représentant du Président de Sant-Egidio de Rome] Je vous
avoue que je suis très tentée de répondre mais je vous parlerai aussi de
l’Islam bien sûr.
D’abord je refuse
totalement l’explication de l’intégrisme par la misère. Je suis d’origine
algérienne et je ne crois pas que l’Algérie, par exemple, était un pays
particulièrement malheureux sur le plan économique, et pourtant ce phénomène
dramatique y explose.
Je pense aussi au
Biafra dans les années 1970, et cela n’a pas provoqué l’intégrisme. Je souhaiterais
donc que nous allions aujourd’hui vers d’autres explications de l’intégrisme.
Sur le dialogue
inter-religieux, il y a beaucoup de choses à dire. Je co-préside une
association de dialogue islamo-chrétien. Je n’ai pas personnellement envie
qu’il y ait une sorte d’union sacrée des religions.
Je passé mon temps
à dialoguer avec des amis chrétiens, et je crois que si nous avons une leçon à
donner, c’est par l’exemple. Pour le reste, nous avons chacun notre Livre sacré
et ces Livres sont à la disposition de tout être humain. Pour moi, le dialogue
inter-religieux, dans le contexte actuel, devrait être élargi au dialogue
occident/monde arabe, ou occident/orient, car aujourd’hui mon problème est
celui-là ; je suis très contente de rencontrer le Grand Rabbin Sirat, parce
qu’il m’a connue dans les années 1980 comme collaboratrice du Recteur de la
Mosquée de Paris, qui m’a formée à la religion musulmane.
J’ai envie de vous
recommander un livre sur le dialogue qui s’appelle “L’Islam et l’Occident”, qui retrace le dialogue inter-religieux
jusqu’au XII siècle. Le Grand Rabbin Sirat connaît cela. A cette époque-là il y
a eu une lettre du Pape qui a appelé les Musulmans à des échanges. De meme, dns
les cours des Califes, il y avait des débats religieux. Ce n’est pas aujourd’hui
que nous avons découvert le dialogue et la tolerance, mot auquel je reviendrai
d’ailleurs. Nous pourrions parler longuement de dialogue, car pour moi il doit
être respectueux de l’autre et supposer des connaissances de l’autre. Je refuse
le dialogue-mépris.
Je vais maintenant
vous parler de l’Islam. J’ai dû répondre plusieurs fois et publiquement que les
filles voilées n’avaient pas le monopole de Dieu ni celui de la pudeur,
puisqu’il paraît que ce serait une question de pudeur. Pour moi la relation
avec Dieu est personnelle, individuelle, du moins dans ma religion. Dieu ne
nous a pas donné un clergé comme s’il craignait ce qui pourrait être fait en
son nom. Je n’ai donc pas de clergé : j’ai un Livre et j’ai Dieu, et je
fais avec. C’est ma réponse à ceux qui me disent que le voile est une
obligation. Il est vrai qu’il s’agit d’une prescription coranique, mais encore
faut-il lire tout le Coran, car il y a d’autres versets et, en particulier,
celui qui dit : « Dieu n’impose à l’âme que ce qu’elle peut
supporter ». Forte de cela, je suis une musulmane sereine et tranquille,
et je n’ai pas du tout le sentiment d’enfreindre.
Quant à la manière
de vivre aujourd’hui l’Islam, je voudrais citer une parole d’une épouse du
Prophète, Aicha. Après la mort du Prophète, elle est devenue professeure
d’Islam. Elle a dit « Ne parlez pas beaucoup ; espacez vos prêches et
soyez brefs ». J’en ai déduit l’explication suivante : elle voulait
que les religieux n’aient pas le monopole de la parole humaine de la Parole
religieuse, et je suis d’accord avec cela. Oui, nous devons l’entendre de temps
en temps, mail il y a aussi l’autre Parole. Il est très important de rappeler
cela, parce qu’aujourd’hui on entend des descriptions effarantes de l’Islam.
Je voudrais
rappeler aussi quelques versets du Coran par rapport à la manière de vivre sa
foi. Dans le Coran, Dieu dit : « Je voudrais que ma communauté soit
celle du juste milieu ». Vous voyez donc, qu’il ne s’agit pas d’extrêmes
et, ainsi que je l’ai déjà dit, Dieu n’impose à l’Être que ce qu’il peut
supporter. Nous n’avons pas de juge ; le modèle était le Prophète ;
lui mort, tous les Musulmans sont égaux devant la Parole et devant Dieu. Dieu
est le seul à pouvoir nous juger quand nous serons devant lui. Je voudrais rappeler
d’autres versets qui personnellement m’encouragent. S’adressant au Prophète,
Dieu lui dit « Je ne t’ai pas envoyé sur eux comme un despote et je ne
t’ai pas envoyé comme un juge. Tu es là pour rappeler ». Tout cela a été
dit à l’intention du Prophète. Alors, quand j’entends certains Musulmans qui
aujourd’hui se font les juges de nos comportements, je pense que s’ils
lisaient, davantage, le Coran, ils ne se le permettraient pas. Et il y a deux
versets sur la liberté religieuse : l’un, que vous serez étonnés de trouver
dans le Coran, et qui dit « Croit qui veut et ne croit pas qui
veut », et cet autre verset qui dit « Il n’y a pas de contrainte en
religion ». D’ailleurs les croyants savent bien qu’une foi ne doit pas
être imposée et que l’on ne peut que s’interroger sur la qualité d’une foi dont
le modèle serait déterminé par les hommes.
Quand je suis
arrivée à la Mosquée de Paris, j’étais une jeune juriste algérienne musulmane.
J’étais un peu effrayée par quelques uns des versets, et le Cheikh Abbas, qui
m’a formée à l’Islam, me disait 2 + 2 = 4 ; si ce n’est pas aussi logique
que cela, tu rejettes ». Aujourd’hui les Musulmans, et surtout les
Musulmanes, s’enferment dans des impasses, ainsi que nous le voyons dans cette
question de filles voilées. Elles doivent savoir qu’être Musulmane, c’est être
libre devant Dieu et c’est aussi vivre sa foi en tenant compte des contraintes
et des contextes géographique et historique. On ne peut pas vivre l’Islam
aujourd’hui comme on le vivait autrefois, encore que certaines périodes de
l’histoire fassent rêver.
J’étais l’invitée
de Canal Plus mardi dernier sur l’affaire du voile. Il y avait aussi un
Islamiste, pas un Musulman ordinaire, mais celui qui a défendu les filles
voilées exclues dernièrement de leur école à Flers. Je retiendrai un point
positif de cette émission. En réponse à une question de la journaliste
concernant la propre fille de cet homme, il a répondu « Ma fille ne porte
pas de voile ». Ce fut un très bon moment pour moi, car sa plaidoirie
habituelle consistait à dire « C’est une exigence coranique et on ne peut
pas l’enfreindre ». Or avec l’absolu on ne peut rien faire ; on est
enfermé. Mais on ne peut pas défendre la position des filles voilées en disant
« Cela n’est pas négociable ; c’est leur religion », tout en permettant
à sa propre fille de ne pas porter le voile.
On me demande
souvent si je suis pour ou contre le voile. Il ne s’agit pas d’être pour ou
contre. Je suis une croyante. Je sais très bien que c’est une exigence
coranique mais je l’oppose à cet autre verset que j’ai déjà cité et qui
explique que « Dieu n’impose à l’âme que ce qu’elle peut supporter ».
En fait, dans le
monde actuel, les religions doivent faire savoir que l’on peut vivre ensemble.
Vivre ensemble et différents, cela signifie aussi respecter quelques
obligations communes. Dans l’école publique, laïque et républicaine, ce qui est
important pour les filles musulmanes est d’acquérir le savoir. J’ai dû faire
appel à un recteur d’université islamique du Qatar, qui a dit « L’Islam ne
veut pas faire de ses filles des ignorantes, alors qu’elles enlèvent le voile
et qu’elles aillent à l’école ». Il faut alors regretter la position du
Conseil d’Etat français. Je demanderai qu’un bilan soit établi sur dix ans
d’application de son règlement sur le voile : exclusions, cours par
correspondance… Je crois que, majoritairement, ces filles-là auront été exclues
du savoir et, par là, en danger. On sait très bien la précarité des femmes
aujourd’hui d’une manière générale, mais a
fortiori sans une éducation solide.
Par ailleurs le
choix pour une femme de travailler est tout à fait permis dans le Coran,
contrairement à ce disent certains.
Que puis-je donner
comme conseil contre les intégrismes ? S’il y a une règle qui me paraît
très importante pour éviter de cautionner l’intégrisme, c’est d’avoir du
respect pour l’autre. Quand on respecte l’autre on refuse un discours ou une
présentation qui ne soit pas respectable pour soi-même.
Ce qui me paraît
également important est évidemment de décoder le langage intégriste.
Cela m’amène à
revenir sur le mot tolérance que j’ai
mentionné au début. Je suis un peu inquiète par le détournement de certains
mots et de certains grands principes : je pense à la démocratie et à la
tolérance. Je suis plutôt étonnée de voir qu’aujourd’hui ces grandes valeurs
servent des projets intégristes. Je ne peux pas accepter cela. Pour le voile on
me dit « Tu n’es pas tolérante ». Et bien, non, je ne suis pas
« tolérante » ni « démocratique » lorqu’on détourne le sens
de ces mots-là. Il suffit de lire les discours et les plate-formes politiques
de ceux qui utilisent ces mots de ces façons-là pour savoir qui ils sont
réellement.
A ce propos,
j’aimerais vous recommander un livre : « Islam
et Liberté, le malentendu historique » de Mohamed Serfi, édité
chez Albin Michel. C’est un livre extraordinaire et très éclairant pour des
occidentaux, qui peuvent avoir un peu de mal à distinguer entre Islam et
Islamisme, par exemple.
Je vais conclure
sur le pluralisme. Je fais des conférences dans des collèges et des lycées.
J’ai une fille au lycée et j’ai regardé son livre d’histoire de 4ème.
J’ai été assez choquée d’y lire que la nation se définissait par l’unicité de
relgion. Par ailleurs il y a des aperçus d’autres religions, en particulier
l’Islam, où il reste beaucoup à faire.
Mais, au delà de
la connaissance des autres religions, dans mes conférences dans des
établissements scolaires, je commence par le respect de l’autre, quel qu’il
soit, croyant, non croyant, parce que le respect de la personne humaine et le
préalable à toute entente. Si ensuite on peut connaître un peu de la religion
de l’autre, c’est important, mais j’insisterais davantage sur le respect du
pluralisme.
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