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mouvement des femmes Iraniennes

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Thursday, February 06, 2014

Annie Ernaux

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Société - http://www.humanite.fr/sites/all/themes/humanite2010/images/pictos/humanite.pngle 3 Février 2014
Libertés
Annie Ernaux : "J'ai toujours été persuadée que rien n'était jamais gagné pour les femmes"
Annie Ernaux revient sur l’avortement clandestin qu’elle avait subi en 1964 , et raconté dans son livre l’Événement. L’écrivaine alerte sur ce que veut dire absence de loi et ce que signifie être totalement dans l’illégalité. 
Vous avez subi, en janvier 1964, un avortement clandestin. Quel écho éveille en vous la remise en cause de l’IVG en Espagne et, d’une façon pernicieuse, en France ?
http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_175/vignettes/annie-ernaux.jpgAnnie Ernaux. C’est un écho moins d’ordre sensible que d’ordre intellectuel. Est-ce si impensable d’imaginer le retour vers l’avortement clandestin ? J’ai toujours été persuadée que rien n’était jamais gagnépour les femmes.
Vous êtes découragée par cette ritournelle ?
Annie Ernaux. Non. J’ai envie d’entrer de nouveau dans ce combat. Il reste que je suis effarée que l’Espagne en arrive à cette régression. Le choix d’avorter ou non se heurte à des choses plus profondes, qui ne sont pas seulement liées à la liberté des femmes. La nouvelle contestation prend une nouvelle allure qui rejoint la question du respect de la vie, qui se propage d’une façon extrême. D’autant que beaucoup de femmes ne savent plus ce qu’est une absence de contraception, d’avortement libre. On ne sait plus ce que subir un avortement clandestin veut dire. C’est cela qui me perturbe, me fait peur.
Pourquoi avoir attendu trente-cinq ans avant de faire le récit de votre avortement clandestin, dans votre livre l’Événement, publié en 2000 ?
Annie Ernaux. En réalité, je n’ai pas attendu trente-cinq ans. J’ai écrit les Armoires vides en 1974, alors que nous étions en pleine lutte pour obtenir la libéralisation de l’avortement. Mon roman, qui avait pour cadre l’avortement, était une façon pour moi de prendre part au militantisme. J’étais au Mlac, le Mouvement de libération pour l’avortement et la contraception. Auparavant, au groupe Choisir de Gisèle Halimi.
Vous n’êtes pas allée jusqu’à signer le Manifeste des 343 salopes ?
Annie Ernaux. En 1971, il était hors de question pour moi de le faire. C’était impensable. Je n’étais rien. De plus, j’étais mariée à un cadre, et déclarer publiquement avoir avorté aurait eu l’effet d’une bombe.
Comment a été reçu votre livre l’Événement, publié en 2000 ?
Annie Ernaux. Il n’a eu aucun retentissement. L’accueil média a été épouvantable. Une sorte de loi du silence l’a accompagné. Alors que Bernard Pivot avait l’habitude de m’inviter, là il s’est abstenu. Un journaliste n’a pas voulu en parler car, m’avait-il dit : « La lecture du livre m’a donné la nausée. » Pour beaucoup de médias ce combat était dépassé. Arte a estimé qu’il n’y avait aucun intérêt à revenir sur ce sujet. Il y a eu un consensus pour ne pas en parler.
Était-il nécessaire pour vous de ne pas laisser votre expérience enfouie ?
Annie Ernaux. Je voulais témoigner. Cette expérience a changé ma vie d’une façon extrême : il y a un avant et un après. D’où le titre : l’Événement. J’ai été confrontée à l’inimaginable, à l’inouï. On sait que l’on peut en mourir, mais on affronte quand même la mort. On a du mal à comprendre ce qu’est l’absence de loi, ce que signifie être totalement dans l’illégalité, dans la quête d’une personne pour vous donner l’adresse d’une avorteuse, ou pour vous prêter de l’argent. Une femme dans mon quartier, à Yvetot, a été trouvée morte sur la table. Elle avait deux enfants.
Vous avez éprouvé de la honte et subi la réprobation ?
Annie Ernaux. Je n’ai jamais eu honte. J’ai évidemment subi la réprobation. Mais j’ai davantage souffert du silence autour de mon avortement. À l’époque, donc en 1964, je ne pouvais en parler à personne. Pas même à ma meilleure amie. Mon mari le savait mais on n’en parlait pas. Après la sortie de mon livre, en 2000, les femmes qui avaient subi une IVG ne voulaient pas témoigner, elles souhaitaient tirer un trait. L’amnésie. Or il est impossible d’oublier. La nuit du 20 au 21 janvier 1964 est devenue une date anniversaire pour moi. Une immense solitude enveloppe les femmes qui avortent.
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Dans votre agenda, en sortant de chez le gynéco, vous aviez écrit : «Je suis enceinte. C’est l’horreur.» Cette phrase exprimait-elle la peur de ce qui vous attendait ?
Annie Ernaux. C’est l’horreur, car cela vous tombe sur la tête. C’est l’horreur et qu’allais-je faire ? Le garder à vingt-trois ans voulait dire que mon avenir était foutu. C’est l’époque où toutes les femmes avaient peur de se retrouver enceintes, il n’existait pas de contraception. Le manque d’imagination ou l’amnésie sur cette période permet qu’on laisse faire ce qui ne devrait jamais se reproduire.
Vous racontez dans le détail la sonde dans l’utérus par la faiseuse d’anges et l’hémorragie. Vous avez frôlé la mort ?
Annie Ernaux. Oui. J’ai appelé le médecin pour ne pas mourir, alors qu’il y a des filles qui ne le faisaient pas, elles avaient honte. Je me suis fait traiter comme une moins que rien. Le médecin, appelé par le concierge de la cité universitaire, m’avait pris le menton et, en me tutoyant, me demandait de lui jurer de ne pas recommencer. Des médecins acceptaient d’enfreindre la loi si l’on était de milieu aisé. J’ai appris par la garde de nuit que le chirurgien qui avait fait le curetage ne savait pas que j’étais étudiante. Il avait honte de m’avoir traitée comme une ouvrière, m’a-t-elle raconté. Certaines femmes aisées allaient en Suisse. Pour moi, c’était horriblement cher. J’ai payé 400 francs la faiseuse d’anges. C’est cela qui risque d’arriver en Espagne : trouver l’argent et l’adresse des avorteurs.
Quel message avez-vous envie d’adresser aux jeunes ?
Annie Ernaux. Il faut absolument qu’elles se mobilisent. Sinon, c’est le retour à la faiseuse d’anges, aux médecins « marron », si l’on en trouve. Il me semble qu’elles ne sont pas suffisamment mobilisées. Il y a des militantes, mais le gros des filles ne luttent pas au niveau qu’il faut. Même le film de Claire Simon, les Bureaux de Dieu, en 2008, n’a pas eu l’écho qu’il fallait. Il n’y a que l’érotisme qui peut concerner les hommes. Le reste, c’est une histoire de «bonnes femmes». Les femmes souffrent du manque de centres d’IVG. L’ex-candidat François Hollande avait promis leur ouverture. Est-ce juste une promesse de campagne ?
(1) L’Événement, d’Annie Ernaux, éditions Gallimard, 2000.

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