une force et un bouclier pour les femmes 13 octobre 2014 -
Mairie du 6ème arrondissement, Lyon 4ème quinzaine de l’égalité femmes-hommes,
Région Rhône-Alpes
L’impératif de laïcité – Gérard Biard
Quand Michèle Vianès
m’a proposée d’ouvrir ce colloque en sa compagnie, d’abord, ça m’a fait très
plaisir, ensuite, il m’a semblé intéressant de poser d’emblée la question qui
va immanquablement traverser les débats de cette journée : peut-il y avoir
liberté et égalité sans laïcité ? Soyons honnête : on sait que, bien souvent,
poser une question, c’est en partie y répondre. Je suis rédacteur en chef de
Charlie Hebdo, journal athée et anticlérical, athée revendiqué moi-même, ma
réponse ne surprendra donc personne. C’est non.
Il est tentant, pour étayer cette réponse, de puiser des
arguments dans l’actualité internationale récente : en Afrique, au
Proche-Orient, en Asie, en Europe, même, — je pense à l’Irlande, où l’on peut
mourir parce qu’un hôpital vous refuse un avortement thérapeutique —, ce ne
sont malheureusement pas les exemples qui manquent. Exemple que l’on pourrait
même qualifier de caricaturaux s’ils n’étaient pas tragiques. Une fois n’est
pas coutume, je vais me comporter en bon chrétien et résister à la tentation.
Je vais prendre un exemple moins évident, mais peut-être encore plus éclairant.
Cela se passe en février 2010, en Suède, l’un des pays les
plus avancés au monde, enfin disons l’un des moins arriérés, sur la question
des droits des femmes. Un demandeur d’emploi, de confession musulmane, se rend
à un entretien d’embauche. Il est reçu par un représentant du personnel, en
l’occurrence une représentante. Invoquant sa religion, il refuse de lui serrer
la main et de la regarder dans les yeux. En toute logique, l’entretien s’arrête
là et l’homme se voit refuser le poste. Refus qu’il juge « discriminatoire ».
Il porte donc plainte.
Le tribunal, appuyé
par le Médiateur suédois pour les questions de discriminations — qui se trouve
être une médiatrice —, lui donne raison et lui accorde 6000 euros de dommages
et intérêts, établissant ainsi que la conviction religieuse prévaut sur
l’égalité hommes-femmes. L’on ne peut être discriminé en raison de sa religion,
ce qui est normal, mais on peut en revanche discriminer en son nom. Voilà ce
que dit ce tribunal. L’Apartheid, s’il se fonde sur des textes dits sacrés, est
justifié. Il faut sans doute se réjouir que le juge n’ait pas ordonné, en
prime, que l’impure soit fouettée pour avoir osé adresser la parole à un homme
qui n’était pas son mari, son père ou son frère.
La Suède n’est pas l’Arabie saoudite. Les femmes y ont le
droit de vote depuis 1863 et elle est au deuxième rang européen en terme de
parité parlementaire — juste derrière Andorre, ce qui prouve que les paradis
fiscaux ne sont pas obligés d’être des repaires d’intégristes machistes (le
message s’adressait à l’Irlande et à Malte, où l’avortement est puni de
prison). Je reviens à la Suède. Les droits des femmes, qu’ils soient sociaux,
économiques ou politiques, n’y sont pas traités par dessus la jambe et
l’égalité n’est pas un sujet de plaisanterie. Pourtant, dans ce pays exemplaire
et officiellement laïc, un tribunal, soutenu par une représentante de l’État, a
reconnu que le mépris et le rejet social des femmes, s’ils s’appuient sur une
conviction religieuse, sont légitimes. Bref, avec ce jugement, la Suède a
reculé d’un siècle et demi. Elle est revenue à une époque où l’on considérait
comme anormal qu’une femme exerce un quelconque pouvoir.
Cet exemple montre que la laïcité n’est pas une obsession de
bouffeur de curés. Elle est un impératif pour que puisse s’exercer l’égalité
et, à ce titre, elle se doit d’être intransigeante, de ne pas céder un seul
pouce de terrain, sous quelque prétexte que ce soit et quelle que soit la
religion. Céder sur la laïcité, c’est céder sur les droits acquis, et c’est
céder sur le progrès social. On l’a vu à l’occasion des débats sur le mariage
pour tous, et on continue à le voir avec les fantasmes sur une prétendue
théorie du genre infectant l’Éducation nationale: les réactionnaires ne
renoncent jamais. Et face à ce constat, il est scandaleux d’entendre un maire,
fût-il de droite, déclarer dans un grand quotidien que « la laïcité, ce n’est
pas son problème ». Je fais évidemment allusion au maire UMP de
Conflans-Ste-Honorine, Laurent Brosse, qui a justifié, par cette déclaration
scandaleuse, son refus d’accorder à la crèche Baby Loup la subvention,
indispensable à la survie de cet établissement, promise par son prédécesseur
socialiste.
Posons maintenant la question initiale autrement : peut-il y
avoir liberté et égalité sans démocratie ? Bien évidemment non. Or, si la
laïcité ne garantit pas la démocratie — la Corée du Nord est un modèle d’État
laïque —, il ne peut y avoir de démocratie sans laïcité. Elle seule permet le
plein exercice de ce système politique qui n’est certes pas parfait, mais qui
présente un avantage précieux sur tous les autres : il se sait, justement,
perfectible. Ce qui en fait le seul cadre politique dans lequel une société
peut espérer évoluer, progresser.
La démocratie ne peut
qu’être laïque, car elle pose entre autres principes que toute loi est
discutable et opposable, et qu’aucune n’est intangible. Or, la loi divine se
proclame immuable par essence, gravée dans le marbre éternel, non soumise à la
critique ou à la remise en question. Elle est donc incompatible avec la
démocratie, comme on peut le voir sans peine dans bien des pays qui fondent
leurs lois terrestres sur la loi divine. Elle l’est d’autant plus,
incompatible, que Dieu, dès lors qu’on accepte son entrée sur le terrain
politique, est un tyran indéboulonnable. Un dictateur finit par mourir, une junte
par être destituée. Il est très difficile de destituer Dieu : ceux qui y
croient continueront à y croire quoi qu’il arrive. Il est donc inacceptable
qu’il franchisse les portes extérieures de ses églises, mosquées, synagogues,
ashrams, pagodes et autres temples plus ou moins kitsch.
Aujourd’hui, ce n’est pas un scoop, les religions, même les
plus sécularisées, travaillent d’arrache-pied à la reconquête politique. Et
elles travaillent main dans la main. À l’ONU, le Vatican fait front avec les
pires régimes du Golfe pour tenter de faire reconnaitre au niveau international
un délit de blasphème, et de placer l’offense à la religion au même niveau que
les pires violations des droits humains. Nous sommes donc bien sur le terrain
politique, pas sur celui de la liberté de conscience. Le slogan des frères
musulman, par exemple, ne laisse d’ailleurs planer aucune ambiguïté : « L’islam
est la solution, le Coran est notre constitution ». Le Coran n’est pas vu comme
un ouvrage religieux, comme un « guide » de conscience intime, mais bien comme
un instrument de contrôle politique et sociétal — cela vaut aussi pour les rois
et émirs du Golfe ou les mollahs iraniens. Et cela vaut pour la Bible, quand
elle est brandie à l’Assemblée nationale par Christine Boutin.
Pour que s’exerce la
démocratie, pour que la collectivité puisse travailler à son émancipation à
travers la liberté et l’égalité, la parole divine et l’évocation même d’une
quelconque entité mystique supérieure doivent impérativement être exclues du
débat public et politique. C’est précisément ce que permet la laïcité, notre
laïcité, dite « à la française », qui dit que l’État est athée et qu’un
citoyen, une citoyenne, ne se définit pas par sa religion. On nous qualifie
souvent, à Charlie, d’intégristes laïcs. Mais l’intégrisme laïc, ce n’est rien
d’autre que l’intransigeance sur la démocratie. Devrait-on avoir honte d’être
un démocrate intransigeant ?
Quelque mots, pour conclure, à propos du voile, sur lequel
on a aussi beaucoup débattu et que l’on l’a qualifié un peu vite, à mon sens,
de « signe religieux », en oubliant qu’il est aussi un instrument politique.
Avant d’être un signe religieux, le voile est un signe discriminatoire, la
marque d’une indignité sociale. Quels que soit sa longueur et son nom, niqab, hidjab,
burqa, tchador, il proclame que la femme est un être inférieur, et, le cas
échéant, une esclave sexuelle et domestique que l’on peut répudier, frapper,
fouetter, mutiler, lapider à l’envi. On compte certainement plus, à travers le
monde, de femmes qui portent le voile pour, au mieux, avoir la paix, au pire,
ne pas se faire lyncher, que de femmes qui le portent de leur propre chef,
uniquement pour exprimer une conviction religieuse. Le jour où plus aucune
femme refusant de se couvrir la tête et de baisser les yeux devant l’homme ne
risquera un coup de pied dans le ventre au nom de la loi ou de la « culture »,
alors, on pourra parler de signe religieux. En attendant, le voile est d’abord
un signe d’infâmie.
Quant à ceux qui, à propos de la loi sur le voile intégral,
ont dénoncé une loi « stigmatisante », ils oublient ou font semblant d’oublier
que la burqa et le niqab sont eux-mêmes des stigmates, pour le moins éclatants,
puisqu’ils nient, en l’effaçant au regard des autres, toute existence sociale à
la personne qui la porte. Le plus
souvent, Dieu est d’abord un instrument d’oppression entre les mains de
despotes qui enveloppent d’un vernis «spirituel »leurs délires totalitaires.
Ignorer cela, c’est se faire le porte-parole d’un relativisme culturel — qui est
le nom politiquement correct du racisme — qui voudrait que les femmes
musulmanes naissent naturellement soumises et heureuses de l’être. En Europe,
l’avancée des droits des femmes, au XXème siècle, a coïncidé avec le recul du
religieux dans l’espace public. Ce n’est pas un hasard du calendrier. Mais il
faut bien être conscient d’une chose : ça marche également dans le sens
inverse, et bien plus rapidement. Accepter qu’une doctrine religieuse, quelle
qu’elle soit, s’immisce dans le débat politique ou, à plus forte raison, dans
la loi, c’est faire reculer le droit à l’égalité. Car, à de très rares
exceptions, les religions se font le relai de la plus ancienne et la plus
tenace des discriminations : celle qui frappe les femmes. Gérard Biard
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