Mosquées : comment les élus contournent la loi de 1905
Par Jean-Christophe Moreau Mis à jour le 21/03/2015dits p
Spécialiste de l'histoire du droit, diplômé de l'École
des hautes études sciences sociales et de la Faculté de droit et de sciences
politiques de l'université Aix-Marseille III. Il a co-écrit avec Isabelle
Kersimon, Islamophobie la contre-enquête (Edition plein Jour)
Bien que la loi de Séparation des Églises et de l'État
prévoie expressément que la République ne salarie ni ne subventionne aucun
culte, ce principe connaît de nombreuses dérogations. Ainsi les municipalités
peuvent-elles prêter leur concours à l'édification de nouveaux lieux de culte
au moyen de trois mécanismes distincts: en garantissant les emprunts contractés
par les associations religieuses, en accordant des subventions pour financier
la construction des parties «culturelles» des édifices cultuels, et, last but
not least, en mettant à disposition des terrains constructibles par la
conclusion de baux emphytéotiques administratifs cultuels.
Les municipalités peuvent-elles prêter leur concours à
l'édification de nouveaux lieux de culte au moyen de trois mécanismes
distincts.
Dans un rapport rendu
public le 18 mars, le
sénateur Hervé Maurey (UDI) propose d'aller plus loin et demande, parmi sept
mesures «destinées à faciliter les relations entre les pouvoirs publics locaux
et les cultes dans notre pays», l'autorisation pour les collectivités locales
de conclure des baux emphytéotiques avec option d'achat au profit des
associations religieuses. Or, cette proposition pose problème car le montant
symbolique du loyer d'un bail emphytéotique est précisément supposé être la
contrepartie de la cession future du droit de propriété du bâtiment construit
(aux frais de l'association) au bénéfice la collectivité. Présentée comme un
moyen idéal de désamorcer «les bombes à retardement» que sont les baux
emphytéotiques cultuels, la solution de «l'option d'achat» présage surtout
d'une énième offensive contre le principe de Séparation des Églises et de
l'État.
La solution de «l'option d'achat» présage surtout
d'une énième offensive contre le principe de Séparation des Églises et de
l'État.
La Séparation des Églises et de
l'État: un mirage juridique
En 1905, la règle de non subventionnement des cultes
était regardée comme une règle vertueuse. Supprimer le budget des cultes,
c'était alors rompre le lien organique entre l'État est les Églises:
l'interdiction témoignait à la fois de l'avènement d'une société sécularisée et
de l'émancipation politique des autorités religieuses.
Longtemps considérée comme la pierre angulaire du
principe de laïcité, cette règle est désormais perçue comme un handicap
politique par de nombreux élus locaux. Face à la vitalité du culte musulman (et
dans une moindre mesure du culte évangélique), nombre d'édiles voient dans la
loi de 1905 une source d'inégalités entre les cultes anciens et «nouveaux» ,
inégalités qu'ils dénoncent avec d'autant plus de conviction qu'elle représente
à leurs yeux un manque à gagner électoral. Tandis qu'au plan national, on lui
reproche d'encourager le maintien de l'islam sous influence étrangère, et plus
précisément de contraindre les fidèles à accepter des financements en
provenance de pays connus pour leur interprétation rigoriste des préceptes
coraniques.
Longtemps considérée comme la pierre angulaire du
principe de laïcité, cette règle est désormais perçue comme un handicap
politique par de nombreux élus locaux.
Lancée par le célèbre rapport Machelon en 2006, cette
fronde des élus locaux contre la loi de 1905 a déjà porté ses fruits devant le
Conseil d'État (arrêt du 19 juillet 2011, Mme Vayssière) et le Conseil
constitutionnel (QPC du 21 février 2013, décision n°2012-297) puisque ces
derniers ont «assoupli» la règle de non subventionnement des cultes au motif
qu'elle aurait connu trop de dérogations pour avoir valeur constitutionnelle.
Les Hautes juridictions ont effectivement jugé, contre la lettre et l'esprit de
la loi de 1905, que l'obligation de neutralité religieuse de l'État était un
accessoire du principe constitutionnel de laïcité et qu'il incombait avant tout
aux autorités publiques de garantir la liberté de religion, y compris en
soutenant éventuellement la construction de nouveaux lieux de culte pour
compenser les difficultés financières d'une communauté religieuse.
On est ainsi passé en un siècle de l'idée d'une
Séparation indispensable des Églises et de l'État à l'assimilation de la
satisfaction des besoins religieux à une mission d'intérêt général… Ce
travestissement du principe de laïcité est d'autant plus problématique que les
municipalités ont en pratique un pouvoir d'appréciation quasi-discrétionnaire
pour juger de l'existence d'un «intérêt public local» en matière de lieux de
culte. Au risque de voir l'intérêt général sacrifié au profit du calcul
électoral, et d'autoriser les élus locaux à s'immiscer dans l'organisation du
culte musulman en privilégiant certaines associations plutôt que d'autres.
Les Hautes juridictions ont effectivement jugé, contre
la lettre et l'esprit de la loi de 1905, que l'obligation de neutralité
religieuse de l'État était un accessoire du principe constitutionnel de
laïcité.
La tentation néo-concordataire
chez les élus locaux
D'après l'enquête TNS/SOFRES réalisée pour le rapport
Maurey, 59% des maires seraient hostiles à toute modification de la loi de 1905
qui viserait à autoriser le financement public des nouveaux lieux de culte,
tandis que 29 % ne s'opposeraient pas à un système de co-financement
État/communes et organisations religieuses. L'enquête révèle également que les
sollicitations pour la construction de nouveaux édifices cultuels concernent
essentiellement le culte musulman, confirmant ainsi la tendance observée au
cours des dernières décennies .Les sollicitations pour la construction de
nouveaux édifices cultuels concernent essentiellement le culte musulman. Mais
lorsque les élus sont directement concernés par l'implantation de nouveaux
lieux de culte, en particulier lorsqu'il est question de l'islam, le souci de
neutralité s'efface au profit d'un volontarisme municipal évident. Sur 190
lieux de culte musulmans en chantier (ou inaugurés depuis 2011), on constate
que 114 projets ont été rendus possibles grâce à la cession d'un terrain
municipal (dont 76 terrains vendus après déclassement et 38 terrains mis à
disposition par bail emphytéotique administratif).
Tout porte donc à croire que les municipalités -toutes
tendances politiques confondues à l'exception du Front national- sont en passe
de devenir les premiers bailleurs fonciers du culte musulman. Ainsi le projet
de grande mosquée de Tours a-t-il débuté grâce à une vente de terrain à un prix
dérisoire (7,5 €/m2) et une promesse de subvention «culturelle» à hauteur de
2,5 millions d'euros, malgré l'endettement record de la ville. De même, la
municipalité d'Évreux a voté la mise à disposition d'un terrain de 5000 m2 pour
un euro symbolique au profit du projet de l'Union cultuelle musulmane d'Évreux.
À Nantes, la mosquée Assalam (inaugurée en 2012) a été construite sur un
terrain vendu par la municipalité, tout en bénéficiant d'une subvention
«culturelle» de 200 000 euros et d'une garantie d'emprunt à hauteur de 346 800
euros. Autant d'exemples qui invitent à relativiser les discours
catastrophistes d'Edwy Plenel sur un pays en «guerre contre la visibilité de
l'islam»…
Tout porte donc à croire que les
municipalités toutes tendances politiques confondues à l'exception du Front
national sont en passe de devenir les premiers bailleurs fonciers du culte
musulman.
Au lieu d'ajouter de nouvelles dérogations à la loi de
1905 comme le préconise le rapport Maurey, on aimerait que cette fuite en avant
cède la place à un temps de réflexion sur la finalité politique de ces
accommodements en commençant, conformément au souhait de certains élus
socialistes, par «commander un audit national sur l'ensemble des financements
publics en faveur des cultes».
À l'heure où il est question
d'une réforme transparente de l'islam de France, il serait peut-être temps de
méditer les réflexions du théologien Alexandre Vinet sur la Séparation des
Églises et de l'État: «Si l'on nous demande: Que voulez-vous que la religion
devienne, sans l'appui de l'État? Nous répondrons simplement: Qu'elle devienne
ce qu'elle doit devenir; qu'elle vive si elle a de quoi vivre; qu'elle meure si
elle doit mourir… S'il était vrai que la religion ne dût pas survivre à ses
rapports artificiels et forcés avec l'État, s'il était vrai seulement que sa
condition dût empirer par le fait de cette séparation, autant vaudrait, dès
cette heure, l'abandonner, et chercher dans quelque vieille erreur ou dans
quelque jeune système la consolation de cette misère intime et profonde que,
jusqu'à ce jour, à l'aide d'une sage politique, elle avait si doucement, si
complaisamment bercée.»
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