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mouvement des femmes Iraniennes

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Monday, February 29, 2016

TRIBUNE Au nom de Kamel Daoud — 28 février 2016

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 Il existe, en France, une élite de
gauche qui entend fixer les critères de la bonne analyse et qui veut faire de
nous les otages d’un contexte français traumatisé par la peur de l’accusation
d’islamophobie. Une peur qui pétrifie nombre d’élus, d’écrivains, de
journalistes et de féministes, quand elle ne les amène pas à défendre les
niqabs et les prières de rues, à excuser les violences dans les cités et les
propos de gamins qui clament, avec fierté, «Je ne suis pas Charlie». La même
élite qui s’essaie à l’exégèse coranique et cherche la bénédiction de religieux
devenus ses principaux interlocuteurs, aux dépens des musulmans laïques
réfractaires au rôle de victime.

 


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La romancière
franco-tunisienne Fawzia Zouari prend la défense de l’écrivain algérien
Kamel Daoud, et appelle de ses vœux un nouveau discours
à gauche affranchi de la peur de l’accusation d’islamophobie.
Un discours qui conçoit le fait que les musulmans, comme les
chrétiens, puissent aimer ou ne pas aimer leur monde, adhérer ou non
à leur religion.
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 Au nom de Kamel Daoud
Kamel
Daoud a décidé d’abandonner le journalisme suite à une tribune signée par un
collectif d’intellectuels dans
 le Monde lui reprochant son «culturalisme», ses «clichés
orientalistes», 
son«essentialisme», pour ne pas dire son islamophobie ; soit, à quelque
détail près, les mêmes accusations qui lui ont valu d’être menacé de mort par
les barbus de son pays. Voilà comment on se fait les alliés des islamistes sous
couvert de philosopher… Voilà comment on réduit au silence l’une des voix dont
le monde musulman a le plus besoin.
Et
quel est le motif de ce tir groupé qui a ciblé l’écrivain et journaliste
algérien ? Kamel Daoud a eu le tort de pointer sans détours les travers des
siens. Plus précisément, il a expliqué que les harcèlements sexuels perpétrés à
Cologne par des personnes d’origine arabo-musulmane découlent d’une tradition
qui n’a eu de cesse de contrôler la sexualité et de condamner à la frustration
ses jeunes. Branle-bas dans les rangs des bien-pensants et avocats d’office des
musulmans ! Et pourtant, qui douterait des affirmations de Daoud ? Qui, des
signataires du
 Monde,pourrait démentir que la plupart des sociétés arabes
vivent dans un puritanisme outrancier et une grande misère sexuelle ? Les
femmes y sont obligées d’arriver vierges au mariage, et les garçons
célibataires sont rendus fous par la frustration. La loi religieuse, appuyée
souvent par la loi civile, ne permet pas à un homme ni à une femme d’avoir une
relation physique avant le mariage. Encore faut-il que celui-ci soit possible
en ces temps de crise et de chômage… Ce sont là des réalités concrètes, et non
des idées. Et ce n’est pas mentir ni insulter que de dire, oui, le musulman
réfléchit souvent de la même façon et agit avec le même réflexe. Oui, le
concept de
 oumma recouvre l’adhésion à des certitudes dogmatiques
aujourd’hui plus que jamais attestées sous le voile et le qamis. Oui, il y a
une psychologie de la foule arabe. Oui, les femmes sont perçues chez nous comme
des corps à cacher. Oui, il y a, dans nos sociétés, un rapport pathologique à
la sexualité induit par la morale religieuse. Oui, il y a une forme de racisme
qui considère qu’on peut violer une juive ou une chrétienne parce qu’elle vaut
moins qu’une musulmane. Oui, les intégristes sont dans la culture de la mort.
Oui, les réfugiés en Europe doivent recevoir une éducation à l’égalité des
sexes. Oui, il faut leur mettre un traité de laïcité dans la main. Leur
enseigner le respect des femmes des autres religions. Des femmes tout court.
Alors faut-il se taire pour plaire aux
orientalistes qui s’ignorent ? Se contenter de donner du monde arabe une image
lisse et de l’islam, l’unique écho de ses siècles d’or ? Les signataires de la
tribune appellent à un «débat apaisé et approfondi». Cela veut dire quoi, au
juste ? Qu’on occulte ce qui ne va pas dans nos sociétés ? Qu’on hésite à
décrire des réalités amères sous prétexte de devoir faire dans la nuance ?
Qu’on se sente coupable d’aimer dans l’Occident l’espace de liberté et
d’émancipation qui nous font défaut ? Bien sûr que nous n’ignorons pas que
l’Europe possède ses propres excès, ses violences contre les femmes, ses fêtes
alcoolisées qui génèrent harcèlements et viols. Et alors ? Cela absout-il les
musulmans que nous sommes de nos propres dérives ?
Il existe, en France, une élite de
gauche qui entend fixer les critères de la bonne analyse et qui veut faire de
nous les otages d’un contexte français traumatisé par la peur de l’accusation
d’islamophobie. Une peur qui pétrifie nombre d’élus, d’écrivains, de
journalistes et de féministes, quand elle ne les amène pas à défendre les
niqabs et les prières de rues, à excuser les violences dans les cités et les
propos de gamins qui clament, avec fierté, «Je ne suis pas Charlie». La même
élite qui s’essaie à l’exégèse coranique et cherche la bénédiction de religieux
devenus ses principaux interlocuteurs, aux dépens des musulmans laïques
réfractaires au rôle de victime.
Cette tendance à dicter aux
intellectuels arabes ce qu’ils doivent dire ou ne pas dire sur leurs sociétés
confine au néocolonialisme. Elle relève d’un tropisme qui rend incapable de
nous voir autrement que comme des «protégés». Elle refuse l’idée qu’il puisse exister
des Arabes souverains dans leur tête, des musulmans qui contestent leurs
traditions, désobéissent aux consignes de bien-pensance, fissurent les
échafaudages spéculatifs autour d’un Orient fantasmé.
Or c’est d’un nouveau discours que nous
avons besoin de la part de la gauche. Un discours qui ne soit pas opportuniste
ni de façade. Qui conçoit le fait que les musulmans puissent aimer ou ne pas
aimer leur monde, adhérer ou non à leur religion. Qui sache qu’il n’y a pas que
Kamel Daoud qui soit habité par le désir de changer nos sociétés. Oui. Nous
sommes de plus en plus nombreux dans le monde arabo-musulman et ailleurs à
penser que le salut de l’islam comprend et exige la relecture de l’islam. Nous
refusons la version d’une foi paisible et de peuples innocents, aussi erronée
que son équivalent d’une foi haineuse et obscurantiste. Nous n’obtempérons pas
aux affirmations selon lesquelles le jihadisme n’a rien à voir avec le référent
doctrinal. Nous refusons le refus de l’amalgame. Nous ne nous sentons pas obligés
de servir au lecteur occidental nos poésies érotiques de jadis et nos supposées
libertés sous le voile. Nous laissons à d’autres, sans les dénigrer ni leur
manquer de respect, le soin de chanter les couplets d’une tradition réconciliée
avec le sexe, la fameuse liste des synonymes de l’amour ou le millier de contes
de Shéhérazade, qui ne viendront pas au secours du jeune Saoudien ou Marocain
menacé de prison ou de guillotine pour liaison extraconjugale. Chacun son rôle.
Et si certains veulent se constituer en brigade anti-islamophobe, assimilant
toute critique de l’islam à un sentiment de peur ou de haine, nous estimons que
notre rôle à nous est d’éveiller les consciences sur le poids de nos tabous
spécifiques et les maux de nos sociétés en attente de liberté.
Alors qu’on cesse de critiquer d’un côté
le silence des intellectuels musulmans sur les violences perpétrées par
certains de leurs coreligionnaires, et d’appeler ces intellectuels à se taire
dès lors qu’ils dérogent à la pensée correcte sur l’islam. Serions-nous
assignés à une parole positive et aseptisée sur notre monde ? N’est-ce pas là
une insidieuse façon de nous maintenir dans la mission subalterne d’allumer le
feu du temple occidental et de flatter sa prétention à être la mesure de toute
réflexion ? Dénoncer nos torts ferait-il de nous des «essentialistes» et des
«culturalistes» ? Mais enfin, qui est essentialiste, si ce n’est celui qui fait
précéder nos réalités par l’idée qu’il s’en fait et la détermine selon ses
grilles de lecture ? Qui sont les orientalistes, si ce ne sont ces détracteurs
de Kamel Daoud, qui, souvent, n’ont connu le monde musulman qu’à travers les
livres ou pour le soumettre à leurs hypothèses de travail, quand ce n’est
à l’absolutisme de principes dans lequel ils s’enferment ?
Daignez donc, Messieurs Dames,
reconnaître que les Kamel Daoud peuvent remettre en question votre savoir
universitaire. Daignez avouer votre désarroi devant une nouvelle catégorie
d’intellectuels arabes qui sort du paradigme de la défense radicale de l’islam
tout autant que de son rejet excessif, et qui s’estime capable de penser par
elle-même. Sachez que des Kamel Daoud, il en naît tous les jours de l’autre
côté de la Méditerranée. Et c’est là un signe de bonne santé. Ces journalistes,
écrivains et artistes, menacés dans leur vie pendant que l’on sirote
tranquillement son café à Paris, qui ont le courage de forcer leur monde à la
critique et au changement, qui aspirent à la liberté de dire, tout simplement,
veulent devenir les sujets de leur propre histoire au lieu de rester objet des
études occidentales. En cela, et contrairement à ce que vous pensez, ils ne
sortent pas de leur monde ni ne souffrent de déni d’identité. Bien au
contraire. Ils s’inscrivent dans une autre tradition de l’islam, celle des poètes
rebelles et des penseurs du doute qui ont maintenu et maintiennent toujours
allumée la flamme d’une civilisation musulmane en attente de la révolution qui
la sauvera d’elle-même et des autres : la révolution religieuse et sa
conséquence naturelle, la révolution sexuelle.


Par fawzia Zouari Ecrivaine franco-tunisienne

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