La
Protection civile écarte les femmes de l’opérationnel
Lorsque l’administration fait dans la ségrégation…
Depuis quelques années, les femmes en tenue grise, qui
faisaient la fierté de la Protection civile, ont disparu des unités
d’intervention. Elles ont été tout simplement retirées du terrain pour être
versées dans «l’assistanat social» et les services «sédentaires». Prise par le
directeur général, la décision est qualifiée de ségrégation flagrante…
Elles étaient partout sur le terrain,
aux côtés de leurs collègues hommes, à intervenir à chaque fois qu’un appel de
secours était lancé. Depuis quelques années, elles ont disparu des rangs des
unités opérationnelles. Leur directeur général a estimé que les «contraintes
majeures» de ce métier «sont difficilement surmontablse pour le personnel
féminin, en particulier les éléments versés dans l’opérationnel» et de ce fait,
il a invité ses directeurs centraux à procéder «au redéploiement de cette
catégorie de personnel en fonction des tâches et missions à même de répondre le
mieux à leur profil et capacités physiques et (…) permettre aux structures de
tirer profit avantageusement pour les domaines ou ledit personnel excelle tout
particulièrement, l’assistanat social».
Mieux, dans cette note, n°10775, datée
du 22 août 2006, adressée au titre d’information au ministre de l’Intérieur, le
directeur général, Lakhdar Lahbiri, trouve que le domaine de l’assistanat dans
lequel il confine les femmes est celui où «les promotions précédentes ont eu à
s’illustrer par le passé, à l’occasion de la prise en charge de certains
événements ou actions de portée nationale comme les campagnes de
sensibilisation au titre des élections présidentielles et législatives, actions
caritatives, d’écoute ou de soins au profit des populations sinistrées lors des
inondations de Bab El Oued, et du séisme de Boumerdès (…) outre ce volet
lié à l’activité de proximité, qu’il convient de faire endosser par ledit
personnel eu égard aux pesanteurs sociologiques qui continuent d’imprégner la
société, il est également indiqué de reverser les surplus d’effectifs féminins
opérationnels, dont dispose vos directions, vers les services sédentaires».
Pour le directeur général, «l’option»
qu’il présente aux femmes, offre «les avantages» suivants : «libérer le
personnel masculin exerçant au niveau des structures de gestion au profit des
unités opérationnelles et optimiser l’utilisation des effectifs, transcender
les problèmes spécifiques que pose le personnel féminin en termes d’accueil et
d’hébergement du fait du régime de travail et améliorer le fonctionnement des
services administratifs par l’introduction de l’élément féminin». M Lahbiri
trouve que «ces éléments de réflexion justifient la nouvelle approche concernant
le redéploiement du personnel féminin opérationnel». Il appelle même à «faire
bénéficier les femmes d’une formation à la carte, en matière d’assistanat
social (..)». Il explique qu’en «l’absence de cadre défini», ce
redéploiement «était laissé à l’appréciation des gestionnaires (…), la
situation n’a pas manqué de générer une foultitude de postures hétérogènes peu
avantageuses, aussi bien pour cette catégorie de personnel que pour la bonne
marche des services, compte tenu des servitudes régissant la profession en
termes d’aptitude physiques (l’effort physique est une donnée incontournable),
le régime de travail de 24 heures d’affilée, les chocs émotionnels pouvant être
occasionnés en cas ou en situation particulièrement éprouvantes».
Les
femmes formées en …«assistanat social»
La directive du directeur général n’a fait qu’exclure un large pan d’agents et
sapeurs-pompiers femme des unités opérationnelles. Une grave ségrégation qui
soumet le personnel féminin à un statut inférieur à celui de leurs collègues hommes,
recrutés, pourtant, avec les mêmes critères, et formé à la même école.
Pourtant, ni la Constitution, ni le code du travail et encore moins tout autre
réglementation en vigueur ne consacrent cette exclusion honteuse. Les victimes
sont nombreuses. Elles acceptent de témoigner à condition de ne pas être
citées. Parmi elles, Aïcha, issue de ces promotions d’agents et
sapeurs-pompiers. Les larmes aux yeux, elle raconte : «J’ai rejoint la
Protection civile non pas pour rester dans un bureau, mais pour être sur le
terrain et contribuer à réduire la souffrance des autres. Ma mise à l’écart a
tué en moi toute ambition professionnelle». Recrutée en 2005 pour renforcer les
unités d’intervention de la capitale, elle se retrouve aujourd’hui au service
de l’action sociale, avec une bonne partie de ses collègues femmes. Sa
déclaration résume parfaitement le sentiment de frustration ressenti par le
personnel féminin. Arracher quelques témoignages sur cette exclusion s’est
avéré être pour nous un véritable parcours du combattant. La peur de
représailles fait reculer les plus téméraires.
Elles préfèrent exprimer leur colère
sous couvert de l’anonymat, «en espérant que les plus hautes autorités
interviennent pour mettre fin à cette injustice». Aïcha, Nora, Saléha,
Sakina, Farida et tant d’autres reviennent sur «cet épisode douloureux» qui a
marqué leur vie. «Je suis parmi les plus anciennes de ma promotion. J’ai
eu à vivre des moments très difficiles durant les années noires du terrorisme.
Epreuve après épreuve, je n’ai jamais ressenti la différence entre mes
collègues hommes et moi-même. Nous avions les mêmes devoirs et les mêmes
droits…», raconte Nora, sapeur-pompier. Ses exploits sont innombrables, révèle
un de ses collègues qui l’accompagne. «Elle était à nos côtés lors du séisme de
Boumerdès en 2003. Elle n’a jamais refusé ou hésité à embarquer à bord des
ambulances vers des quartiers où même la journée on ne s’y aventurait pas. Elle
faisait son travail tout comme ses collègues hommes, et n’a jamais demandé à
être dispensée des opérations de terrain. Sa mise à l’écart, en 2007, nous a
surpris. C’est vraiment dommage. Pour nous, c’est une perte», souligne-t-il. Il
est capitaine de la Protection civile et exerce dans une ville du Centre du
pays.
Amertume
et colère
Il dresse une liste de dizaines de ses collègues femmes retirées des services
d’intervention. Son collègue, Othmane, s’offusque : «Aujourd’hui, il n’y a
pratiquement plus de femmes dans les unités. Elles sont toutes versées dans la
prise en charge sociale des travailleurs. Beaucoup ne méritaient pas cette
mutation. Elles se sont battues pour arracher leur place parmi les hommes dans
un domaine très difficile. D’ailleurs, elles étaient les plus dévouées et les
plus courageuses de nous tous». Exerçant dans une ville à l’ouest du pays,
Saléha qualifie sa mutation vers l’action sociale de «choc», précisant :
«Je ne m’attendais pas à une telle décision. Mon chef d’unité était très gêné
lorsqu’il est venu m’annoncer la nouvelle. Il a essayé de trouver des justificatifs
en me disant que le patron voulait préserver les femmes des dangers du terrain.
Je suis entrée dans une colère indescriptible. Je suis rentrée chez moi et je
n’ai jamais parlé de ma mutation à mes parents. Je ne voulais pas briser cette
fierté qu’ils ressentaient à chaque fois que je leur racontait mes sorties sur
le terrain».
Sa collègue, Sakina, ressent la même
«frustration». Les deux femmes ont fini par se résigner à «ce travail de
bureau» qui a «mis fin à leurs ambitions». «Je vais tous les jours au bureau
pour me rouler les pouces. Je sens que je régresse, alors que je peux beaucoup
donner à mon travail que j’aime énormément. J’ai pensé à quitter pour un autre
travail, mais j’ai peur de sombrer dans le chômage», note Farida, agent qui
exerce dans la périphérie de Sétif. Elle affirme : «Bon nombre de mes
camarades ont décidé de démissionner après avoir été retirées du terrain. C’est
dommage, parce qu’elles étaient pleines de volonté, et toutes aimaient
l’action. Elles ne reculaient jamais lorsqu’elles étaient appelées à intervenir
pour secourir les victimes d’incendie, d’accident de la circulation, de séisme,
d’attentat, etc.» Les témoignages se ressemblent tous et laissent transparaître
non seulement de «l’amertume», mais aussi une «colère» contre cette
décision de la direction générale de la Protection civile qualifiée d’ailleurs
de «honteuse».
«Le code du travail ne fait pas de distinction entre
les hommes et les femmes. Celles-ci ont occupé jusque-là tous les postes
réservés durant des années à leurs collègues hommes. Elles sont pilotes de
chasse dans l’armée, officiers des brigades d’intervention de la police
judiciaire, juges, procureurs généraux adjoints, présidentes de cour, etc.,
pourquoi alors les priver de soulager les souffrances des autres en leur
interdisant le travail dans les structures opérationnelles de la Protection
civile ? Une telle mesure constitue une flagrante violation de la loi, qui
mérite une sanction», conclut Aïcha. Une piètre image que la direction générale
de la Protection civile donne des droits des femmes en Algérie, au moment où le
président de la République légifère pour la promotion des droits des femmes…
Salima Tlemçani