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mouvement des femmes Iraniennes

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Saturday, May 12, 2012

Réponse à Tariq Ramadan


D. Shayegan. - Vous parlez beaucoup d’une " histoire musulmane ". Mais toute l’histoire de l’islam est une histoire prophétique. Elle commence avec Adam et se termine par la révélation de Mahomet, le dernier prophète. De ce fait les musulmans, consciemment ou non, se croient métaphysiquement supérieurs aux autres religions révélées, puisqu’ils ont la dernière révélation : le zénith de la prophétie. Ne disait-on pas que Mahomet sous le soleil n’avait pas d’ombre ? Donc la vérité est toujours avec nous. L’islam détient la vérité. Ces mythologies existent dans l’imaginaire de l’islam, on peut les réveiller quand on veut, et c’est justement ce que font les mouvements islamistes. Ils entretiennent chez les musulmans l’illusion qu’en retournant à l’islam ils pourront résoudre tous leurs problèmes. Il suffirait en somme de court-circuiter l’Histoire pour atteindre une Terre promise. Mais c’est une illusion. La Loi, en tant que telle (je fais toujours la distinction entre la spiritualité islamique, que j’aime beaucoup, et l’islam de la Loi), appliquée à la lettre, n’a aucune réponse à nos problèmes économiques ou administratifs.
Vous parlez ensuite de diversité des civilisations. Mais, à mon avis, il n’y a qu’une seule civilisation dans le monde, et c’est la civilisation mondiale, moderne, universelle - je ne dirai même pas occidentale, parce qu’elle fait partie de nous, qu’elle reflète aussi une certaine sensibilité de notre temps, et qui n’est plus celle du Moyen Age. Avec le retour de Khomeini en Iran, on a commencé à voir des scènes, des images que personne n’arrivait plus à supporter : les flagellations, les martyres, les fontaines de sang... Cette explosion de l’archaïque dans le moderne, proprement insupportable pour des hommes du xxe siècle, explique l’émigration massive. Ces gens ne fuyaient pas parce qu’il n’y avait plus de libertés individuelles - ces libertés n’existaient pas avant la révolution. Ils fuyaient un monde archaïque qui offensait leur sensibilité.
Là, je me pose une question : pourquoi l’Asie, qui est de confession bouddhique et confucéenne, supporte-t-elle mieux la modernité que ne le fait l’islam ? Pourquoi l’islam a-t-il tant de problèmes avec les valeurs considérées comme universelles, et qu’il regarde comme occidentales ? Il y a d’abord la rivalité de l’islam avec la chrétienté. Il y a ses échecs historiques. Et puis il y a le fait qu’il n’a jamais voulu faire l’apprentissage de la modernité. Je vous donne un exemple précis : l’ère Meiji, au Japon, a commencé en 1868. La même année, le chah iranien a entamé des réformes. Au Japon, ces réformes ont abouti. En Iran, jamais. Les résistances ont été les plus fortes.
Je crois que le monde islamique doit vraiment entamer son autocritique et casser les tabous. On n’ose pas. Aucun imam n’ose faire une lecture critique du Coran. Alors que la modernité en Occident a commencé au xviie siècle avec la critique de la Bible et des Ecritures. Arrive un moment où il faut prendre ce recul. Se demander : d’où viennent les blocages ? Pourquoi faisons-nous toujours les mêmes erreurs ? Et cesser de dire : c’est la faute des Américains, des Russes, des Anglais...
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D. Shayegan. - Mohamed Arkoun l’a bien montré : il y a deux périodes dans les temps modernes pour l’Islam. La première, qu’il appelle " nahda ", est la période de l’éveil, des Lumières islamiques ; et la seconde période, qu’il appelle " thawra ", la révolution, qui commence au milieu du xxe siècle. L’Islam se replie de plus en plus sur lui-même et donne naissance à ce courant islamiste que je ne reconnais pas comme étant musulman.
Dans ces quatre lectures dont vous parlez, Tariq Ramadan, ce que je vois, moi, c’est une résurgence des structures fortes du sacré. Qui sont aussi les structures fortes de la violence. Car le sacré est violent. Et cette violence existe dans le Coran, que vous le vouliez ou non. Cette grande culture, qui s’est formée depuis 1 400 ans, a essayé de sublimer cette violence qui était à l’origine de la religion pour en faire une culture d’amour : c’est ce qu’on trouve chez nos mystiques - finalement très proches des mystiques chrétiens, d’une certaine façon.
Lorsque vous faites sauter le vernis, vous revenez à un islam complètement utopique, qu’on appelle " Islam de l’âge d’or " - mais dont on sait qu’il n’a duré que trente ans et qu’il fut semé d’assassinats. L’Islam n’est devenu une civilisation que plus tard, avec les Omeyyades et les Abbassides ! Les mouvements islamistes actuels, qui prétendent revenir aux sources, ne sont que des réactions, des rejets. Des pôles de ressentiment.
C’est très dangereux de jouer avec la croyance des gens et d’en faire un instrument de combat. Dans le Coran, on peut tout trouver. Il y a la violence, dans le Coran, il y a la guerre sainte. C’est pour ça qu’il y a toujours eu des écoles de lecture. On a toujours voulu interpréter le sacré ; mettre en avant le sens symbolique des versets, ne pas le lire à la lettre. Et voilà que, dans les temps modernes, on a sacralisé la charia. Mais la charia est très encombrante dans le monde islamique ! Elle empêche cette société de bouger, en prétendant s’occuper de tout, de votre vie privée, de ce que vous mangez... Ce genre d’islam, c’est de l’islam sclérosé, pétrifié.

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